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REVUE. — CHRONIQUE.

Château-Trompette, mais je ne demande pas mieux que de signaler, au premier acte, les très jolis couplets que chante Mme Cabel, qui est revenue à ses premières amours, je veux dire à un de ces rôles de gentille grisette, les seuls qu’elle ait pu jouer depuis qu’elle est au théâtre. Ces couplets, agréablement encadrés dans un petit chœur de femmes qui en répercute le refrain : Ah ! monsieur de Richelieu ! sont charmans. J’en aime surtout les éclats de rire que Lise fait jaillir sur une gamme diatonique qui monte jusqu’à l’ut supérieur, je pense. La stretta du duo pour soprano et ténor, entre Lise et le valet de chambre du maréchal, ne manque pas de vivacité, pas plus que le trio qui vient immédiatement après. Nous pouvons encore citer un agréable nocturne entre Lise et son amant Olivier, et le chœur d’hommes et de femmes éclatant de rire (car on rit beaucoup dans la pièce) qui précède la terminaison du premier acte. À l’acte suivant, je puis signaler aux connaisseurs, mais aux connaisseurs seulement, un petit bijou de quatuor qui ne dure que quelques secondes, pendant que le maréchal de Richelieu invite la jolie Bordelaise à prendre place à la table somptueuse qu’il a fait préparer pour un souper mignon. Ah ! si M. Gevaërt nous faisait souvent des morceaux semblables, moins fugitifs et plus développés, il serait bien vite le berger que nous cherchons. Au troisième acte, il y a encore un duo qui a son prix de gaieté et de franc comique. À tout prendre, l’opéra du Château-Trompette n’est pas tout à fait un mécompte.

Mais une bonne trouvaille que vient de faire le théâtre de l’Opéra-Comique, c’est un charmant petit opéra posthume de Donizetti, Rita, ou le Mari battu par sa femme. On ne saurait mettre en doute l’authenticité de cette agréable partition à trois personnages, dont chaque morceau révèle la main facile et élégante de l’auteur de Don Pasquale et de l’Elisire d’amore. Pauvre Donizetti ! il a improvisé ce petit ouvrage dans les derniers instans lucides qui ont précédé la chute de son beau génie ! Quelques jours après, la nuit obscurcissait pour toujours cette imagination riante qui a créé Lucie, la Favorite, Dom Sébastien, qu’on devrait bien reprendre à l’Opéra, et tant d’autres chefs-d’œuvre inconnus à Paris. C’est un vrai bijou que ce petit opéra en un acte, dont le canevas amusant est de M. Gustave Vaëz, et où Mme Faure-Lefebvre est piquante. Ah ! messieurs les compositeurs forts en thème, qui fabriquez si savamment des opéras ennuyeux pour tout le monde, allez entendre Rita, et vous verrez comment on fait de la musique facile, chantante, appropriée à la situation et aux personnages, quand le ciel a doué quelqu’un de son influence secrète, et qu’il l’a destiné à faire de l’art et non pas du contre-point !

Le Théâtre-Lyrique, pour avoir changé de direction, n’a pas heureusement changé de système, et c’est toujours là-bas, au boulevard du Temple, qu’il faut aller pour entendre un peu de bonne musique dans un théâtre de Paris. Cette fois-ci, on s’est attaqué à une œuvre bien autrement difficile à restaurer que les Noces de Figaro, Oberon, ou bien Orphée. Fidelio de Beethoven, le seul opéra qui soit sorti des mains de ce grand et magnifique génie, n’a pas les grâces faciles des ouvrages de Mozart ni des chefs-d’œuvre de Gluck. C’est une œuvre complexe qui renferme de grandes beautés, mais dont la contexture mélodique n’est pas d’un accès facile. Il faut de grandes et puissantes voix pour chanter les principaux rôles de Fidelio, qui, même