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REVUE. — CHRONIQUE.

qui a été pourtant représenté sous les plus tristes auspices, avec des chanteurs qui, excepté Mme  Alboni et Mme  Penco, n’avaient que de la bonne volonté pour interpréter, le mot est ici à sa place, la langue divine de Mozart. Je ne parle ni du Trovatore, ni de Rigoletto, qui ont toujours le privilège d’attirer beaucoup de monde, ce qui ne me réconcilie pas avec les œuvres de M. Verdi, dont je n’ai jamais méconnu cependant la flamme et les qualités distinctives. Après la Sonnambula de Bellini, qui a servi aux débuts d’une jeune et intéressante cantatrice française, Mlle  Battu, après la Semiramide et l’Otello de Rossini, ce sont les quatre représentations du Poliuto de Donizetti qui ont le plus vivement excité l’intérêt des amateurs. Dans cet ouvrage médiocre au fond et faiblement écrit, il y a deux ou trois morceaux d’élite où M. Tamberlick est véritablement admirable. Cette année surtout, il s’est élevé plus haut que les années précédentes par l’élan, l’exaltation religieuse et la tenue sévère qu’il a prêtés au beau caractère de Poliuto, dont l’artiste a su faire l’une de ses meilleures conquêtes. Aucun chanteur de la génération actuelle ne dit le récitatif sérieux comme M. Tamberlick. On peut affirmer que dans cette partie très importante de l’art, M. Tamberlick est bien supérieur à Rubini. Il me rappelle directement Garcia, qui, dans Otello, dans il Barbiere di Siviglia et dans Don Giovanni, n’a jamais eu son égal pour la vigueur du style et l’intrépidité de la vocalisation. Une autre qualité précieuse du talent de M. Tamberlick, c’est la netteté de son articulation : dans sa bouche, la belle langue italienne a toute sa saveur ; on entend chaque syllabe appuyée fortement sur l’accent qui lui est propre. Pour les connaisseurs, c’est là un plaisir délicat qui a tout son prix et qui s’ajoute au plaisir que procure la musique dramatique. Excepté M. Badiali, qui est aussi un artiste véritable, nourri des bons modèles, personne au Théâtre-Italien de Paris ne prononce convenablement la langue du pays, dore’l si suona. Mme Penco, qui est une cantatrice de talent et qui a fait de véritables progrès depuis qu’elle est à Paris, n’y a pas appris malheureusement à corriger sa prononciation, qui est vicieuse, empâtée d’euphémismes équivoques. Mme Borghi-Mamo, après une infidélité de trois ans, qu’elle a passés à l’Opéra, est revenue cet hiver au Théâtre-Italien, qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Sa voix, d’un timbre délicat et distingué, a un peu souffert à déclamer dans une langue étrangère un répertoire qui exige plus de force que de goût, plus d’élans dramatiques que de véritable art de chanter. L’Alboni elle-même n’a pu s’expatrier à l’Opéra sans perdre quelque chose de son plumage d’or. Mme Borghi-Mamo n’en reste pas moins l’une des meilleures cantatrices italiennes de ce temps-ci. Le ténor Giuglini, qui a fait une courte apparition au Théâtre-Italien, où il a chanté douze fois, n’y a pas produit tout l’effet qu’en attendait l’administration. M. Giuglini possède cependant une très jolie voix de ténor, qui manque sans doute de flexibilité, mais dont les notes supérieures ont un charme incontestable. Si cet artiste eût fait un plus long séjour à Paris, il aurait pu acquérir beaucoup de qualités qui lui manquent et compléter une éducation fort imparfaite, qu’il n’achèvera pas sous l’influence du public de Londres. En général, on a le droit de reprocher à la direction de M. Calzado de n’avoir jamais sous la main une troupe complète, composée d’artistes bien assortis, avec lesquels on puisse entreprendre des études sérieuses et monter dignement les chefs-d’œuvre du ré-