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exposer l’Italie du nord aux plus grands troubles, entamer une lutte ouverte avec le héros populaire de l’indépendance italienne. Mais si l’élan populaire s’est prononcé avec tant de puissance en faveur de l’entreprise de Garibaldi, que M. de Cavour n’a pu songer à employer que les moyens décens, mais stériles, de la persuasion, pour essayer infructueusement de la détourner ; si M. de Cavour ne s’est pas cru assez fort contre l’opinion pour prévenir par la contrainte matérielle un acte que l’orthodoxie diplomatique l’oblige lui-même à considérer officiellement comme une atteinte au droit des gens, nous poserons cette simple question : croit-on que le parti avancé sera plus faible, que l’opinion sera moins exigeante, que M. de Cavour sera plus fort dans le cas où Garibaldi et ses corps francs seraient vaincus, et feraient entendre à l’Italie du nord un cri de détresse ? Un désastre de Garibaldi peut obliger le Piémont à marcher contre Naples. L’intérêt politique s’unirait alors au sentiment populaire pour pousser le Piémont à cette extrémité. Si en effet le gouvernement napolitain sortait victorieux et plus absolu de sa lutte contre les Siciliens et les corps francs du nord, ce succès donnerait en Italie à la réaction une prépondérance que le Piémont ne pourrait subir. Nous ne pensons donc pas que l’on puisse regarder l’expédition de Garibaldi comme une entreprise isolée, qui ne met en question que le sort d’un chef de partisans et de sa troupe. C’est une nouvelle phase qui commence plus tôt que nous ne l’eussions désiré dans les affaires d’Italie ; c’est le travail intérieur de la réorganisation de la péninsule qui se poursuit violemment et précipitamment, mais avec logique, dans le sens de l’unité. Un seul fait pourrait, suivant nous, prévenir ou atténuer les conséquences extrêmes de ce mouvement : ce serait, comme nous le disions tout à l’heure, ce serait, sous l’influence du comte d’Aquila, une transformation libérale et sensée du gouvernement napolitain.

Exigera-t-on de nous que nous nous lancions déjà dans des appréciations conjecturales sur le contre-coup que la série des événemens qui s’ouvre en Italie aura sur la politique générale de l’Europe ? La France, l’Autriche, l’Angleterre et tout le monde catholique par la papauté sont intéressés à ce qui va se passer en Italie. Si nous consultions nos sentimens personnels plus que l’instinct public, nous l’avouerons, nous ne serions point effrayés pour la France de la perspective de l’unité de l’Italie. Nos lecteurs savent que nous regardons comme une tradition frappée de caducité de l’ancienne politique cette idée que l’intérêt français est opposé à la constitution des peuples voisins en états aussi grands territorialement que le comportent les caractères, les tendances et la composition homogène de leur nationalité. À nos yeux, cette routine n’est plus applicable à notre époque. Les causes d’hostilité qui existaient autrefois entre les états, et qui justifiaient cette politique jalouse, ont disparu ou doivent disparaître avec l’ancien régime européen. Les états étaient autrefois fondés sur les intérêts des maisons souveraines et non sur les intérêts naturels et la liberté des peuples : la guerre était toujours au bout des combinaisons d’intérêts des maisons souveraines ;