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donnée, pour être développée, demandait les qualités précisément contraires à celles qu’a cherchées l’auteur, c’est-à-dire de la finesse, de la subtilité, de la poésie, une analyse lente, patiente et minutieuse. Ici nous placerons une observation qui s’adresse non-seulement à l’auteur de Daniel Lambert, mais à tous les jeunes écrivains qui travaillent pour le théâtre. Qu’ils ne se préoccupent que le moins possible des exigences de la scène, et qu’ils écrivent comme si la pièce devait être lue et non pas jouée. Qu’ils ne laissent pas la crainte du public tyranniser leur imagination. S’ils se demandent pendant qu’ils écriront ce que le spectateur pensera de telle ou telle partie de leur drame, s’il comprendra telle audace, s’il applaudira telle situation, ils seront remplis de terreurs bizarres qui troubleront leur esprit, paralyseront leurs facultés, et feront trembler leur main. On ne sait pas quelles sottises peut faire commettre à un auteur la crainte de n’être pas applaudi, et quelles timidités extravagantes engendre la frayeur d’être sifflé. N’ayez donc nul souci du spectateur, et reportez sur votre œuvre toute votre sollicitude. Les jeunes écrivains dramatiques devraient réfléchir plus souvent que quelques-unes des meilleures pièces du théâtre moderne sont celles que les auteurs avaient écrites au coin de leur feu pour leur plaisir et pour le plaisir de quelques lecteurs sympathiques et choisis. Alfred de Musset et Octave Feuillet nous offrent un témoignage remarquable de cette vérité, que les jeunes écrivains dramatiques feront bien de ne jamais perdre de vue.

Ce n’est pas à M. Amédée Rolland qu’on peut reprocher une préoccupation trop vive des exigences de la scène ; on dirait au contraire qu’il y a chez lui un parti-pris de ne pas s’en inquiéter. M. Amédée Rolland doit avoir un souverain mépris pour les charpentiers littéraires ; mais son mépris ne lui a pas porté bonheur. Il est bon de sacrifier à toutes les muses de la poésie ; mais le bon sens indique assez que le poète doit réserver les meilleurs de ses hommages pour la muse qui préside au genre qu’il a choisi. À chaque instant, M. Amédée Rolland déserte la maison de Thalie pour courir après une Euterpe ou une Érato quelconque, qui l’éloigne de sa déesse et lui fait faire mille incartades, aimables peut-être, mais parfaitement hors de saison et dont le poète ferait bien de se dispenser. Thalie, mécontente, boude, ne souffle mot, reste froide, et les spectateurs trouvent que ses froideurs sont motivées et que M. Rolland se conduit mal. Telle est, pour ma part, l’impression que m’a laissée la représentation d’Un Parvenu, pièce curieuse à connaître pour ceux qui désirent savoir jusqu’où peut mener le dédain de l’action et des exigences dramatiques les plus légitimes.

Je me suis demandé d’où pouvait venir un mépris aussi bizarre des lois de l’art dramatique. Je pense que M. Rolland ne se croit