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ce catalogue de maladies : il y en a pour tous les goûts ; mais quelque choix que vous fassiez et quelque jugement que vous prononciez, vous serez obligé de reconnaître que tous ces symptômes se réduisent à deux principaux, l’impuissance et la maladresse, et que par conséquent la maladie dont souffrent le théâtre et par suite l’esprit français est double. Nommons cette double maladie le mariage de la sénilité et de la barbarie, rapprochées par une de ces combinaisons qui ne se peuvent rencontrer que dans ces sociétés vieillies où deux excès forment par leur union un équilibre de forces, et dans ces tempéramens longtemps éprouvés où deux maladies foraient un état de santé.

Le théâtre contemporain offre donc ce double caractère de la sénilité et de la barbarie. Tantôt on dirait les pensées surannées d’un vieux pédant dont la mémoire a gardé trop fidèlement les souvenirs d’autrefois, tantôt les hardiesses malséantes d’un barbare ambitieux et inexpérimenté. Tous les genres sont confondus en un seul, tous les styles sont violemment rapprochés dans une association bizarre. Imaginez un pêle-mêle de comédie, de drame, de vaudeville, une sorte d’olla podrida littéraire où votre esprit, étonné de la variété de ce régal nouveau, rencontre tour à tour un bouquet à Chloris, une phrase d’argot, une tirade de rhétoricien qui s’essaie à l’éloquence, une déclamation sentimentale, des plaisanteries d’atelier et de coulisses, des bons mots d’ancien régime et des boutades populaires : vous aurez à peu près l’idée de ce qu’en l’an de grâce 1860 on nomme chez nous un drame ou une comédie. Si la littérature est l’expression des mœurs, et si le théâtre est fait à l’image du public, n’en conclurez-vous pas, sans trop de finesse, que le public qui vient écouter ou applaudir ces productions extraordinaires doit être aussi fort mélangé, venir de points très divers, qu’il doit contenir bien des variétés de l’espèce humaine, et qu’il doit offrir l’image de bien des discordances ? Le théâtre est devenu démocratique comme la société, et les anciens genres dramatiques ont subi le sort des anciens cadres sociaux. Le public trouve dans cette confusion des genres une image peu aimable de lui-même, mais contre laquelle il ne récrimine pas. Il n’est pas choqué de voir la comédie unie au mélodrame et le langage de l’argot mêlé au langage académique. Chacun ne trouve-t-il pas quelque chose de pareil dans son expérience personnelle ? Ne vivons-nous pas dans un temps de confusion et d’anarchie que caractérise le pêle-mêle des sentimens et des idées encore plus que le pêle-mêle des classes et des personnes, où les contradictions les plus étonnantes se présentent non-seulement dans la société, mais dans l’individu lui-même, qui peut être à la fois cultivé comme un Byzantin, sauvage comme un Scythe.grossier comme un parvenu plébéien et poli comme un aristocrate