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aucune espèce d’ordre intérieur, sans organisation politique, si tous les intérêts ne se développaient pas, c’était la faute du dictateur argentin. Rosas est tombé, qu’est-il arrivé ? La Confédération Argentine la première est aussitôt retombée dans la guerre civile, et s’est violemment divisée en deux parties ennemies, — Buenos-Ayres d’un côté, et de l’autre le reste de la confédération, sous l’autorité du général Urquiza. Aux yeux de Buenos-Ayres, la ville aux esprits cultivés et ardens, Urquiza a été toujours le chef de campagne, le caudillo qui n’a renversé Rosas que pour s’élever à sa place, et qui, du sein de sa province d’Entre-Rios, prétend faire peser le joug du gaucho sur l’esprit argentin ; aux yeux d’Urquiza et de ses adhérens au contraire, Buenos-Ayres a toujours été la ville rebelle et ambitieuse qui, sous des dehors libéraux, prétend attirer à elle et garder toute l’importance politique, le monopole du commerce et de la vie extérieure.

Telles sont les dispositions respectives de ces deux fractions ennemies de la république argentine, que depuis huit ans elles n’ont pu s’entendre. Trop faibles pour se réduire mutuellement par les armes, trop dominées par leurs passions pour céder à la nécessité supérieure d’un rapprochement volontaire, elles ont vécu de cette vie singulière qui n’était ni l’existence en commun ni l’indépendance complète. Chacune d’elles a eu son gouvernement, sa constitution, sa législation propre, et même sa représentation extérieure. Un moment, en 1854 et 1855, à défaut de l’unité nationale qu’elles ne pouvaient rétablir, elles essayaient du moins de sauvegarder leurs intérêts communs en réglant par des conventions leurs rapports commerciaux, en faisant un certain ordre dans le désordre ; mais cet état de paix relative, qui laissait intacte la grande question de l’intégrité nationale, durait peu, et après une courte expérience Urquiza, ne pouvant malgré tout renoncer à l’espoir de soumettre Buenos-Ayres, essayait d’un autre système qu’il croyait devoir être plus efficace que l’emploi de la force. Il cherchait à atteindre la province dissidente dans ses intérêts en favorisant le commerce direct entre les états étrangers et la confédération par l’établissement de droits différentiels sur les marchandises importées ou exportées qui toucheraient à Buenos-Ayres. C’était une guerre commerciale compliquée d’ailleurs d’incessantes manifestations d’hostilités d’un autre genre qui ne pouvaient qu’exciter et rendre plus irréconciliables les animosités en préparant une lutte nouvelle devenue inévitable en 1859.

Les symptômes de ces intentions belliqueuses ne tardèrent pas à se manifester et se succédèrent rapidement. Le chef de la confédération, le général Urquiza, ne demandait qu’à être ou à paraître