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Le terrain ainsi déblayé, restait à savoir quelle forme allait prendre cette dictature dans la situation critique qui naissait. On la décora du nom de suprême direction de la guerre. Roblès, comme président, fut le directeur suprême, Urbina général en chef de l’armée, — et comme ils s’étaient nommés eux-mêmes, Roblès déclara dans une proclamation, au moment de se diriger sur Guayaquil, qu’il partait « avec les pouvoirs que le peuple lui avait confiés. » Ainsi d’un côté les forces navales péruviennes s’étaient avancées dans la rivière de Guayaquil et bloquaient la ville ; de l’autre, Roblès et Urbina se tenaient sur la défensive à la tête de leur armée.

Entre les deux ennemis, qui se montraient d’ailleurs peu pressés d’en venir aux mains, une médiation survint, proposée d’abord par le Chili seul, puis de concert avec la Nouvelle-Grenade, et elle fut acceptée. En dépit de leurs manifestations belliqueuses, et si peu de goût qu’ils eussent pour le président du Pérou, les deux dictateurs équatoriens étaient certainement les plus sincères dans leur acceptation et dans leur désir de paix, car ils étaient les plus intéressés à voir finir un état de guerre dont ils sentaient tous les dangers pour la sécurité de leur pouvoir. Castilla se montrait infiniment moins pressé d’en finir ; il louvoyait, ergotait, et en venait à décourager les médiateurs, qui renoncèrent à leur mission. Qu’attendait-il ? quel était le secret de ses temporisations ? Le président du Pérou gagnait du temps, se fiant toujours aux mouvemens intérieurs que le blocus de Guayaquil ne pouvait manquer de provoquer dans l’Equateur, et il ne se trompait pas absolument dans ses calculs.

Tandis que le blocus de Guayaquil était maintenu par l’amiral péruvien Mariategui, et que la médiation avait tant de peine à naître, puis à vivre, voici en effet ce qui se passait dans l’intérieur de l’Equateur. Dès le 4 avril 1859, une tentative d’insurrection éclatait à Guayaquil même. À onze heures du soir, un officier, le commandant Darquea, se présentait avec vingt hommes chez le président Roblès ; il le trouvait jouant aux cartes avec le général Franco et ses familiers, et il l’arrêtait. Roblès, ne pouvant résister, se laissait emmener, lorsque Franco, qui s’était échappé dans le premier moment, revenait un tromblon à la main et déchargeait son arme sur le commandant Darquea, qu’il blessait mortellement. Les soldats hésitaient alors et laissaient Roblès reprendre sa liberté. Pendant ce temps, le vrai chef du mouvement, le général Maldonado, était allé prendre position sur un mamelon dominant la ville. Il disposait des meilleures troupes, et il était réellement maître de la situation. La mésaventure du commandant Darquea le troubla, et il entra aussitôt en négociation avec Roblès, qui ne se montra pas difficile sur les conditions, vu la gravité des circonstances. Les troupes rentrèrent