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et ambitieux comme il y en a eu beaucoup en Amérique. Il n’a point eu de repos qu’il ne fût arrivé à la présidence, et après lui est venu M. Roblès, avec qui il a continué à partager le pouvoir, on le comprend, du droit du premier inventeur. Cette double présidence a réalisé pour l’Equateur l’idéal de la démocratie militaire. Ce régime, longtemps heureux, a eu pourtant une fin. Urbina et Roblès, les deux dictateurs jumeaux, comme on les appelle dans le pays, ont disparu, il y a moins d’un an, dans une série d’événemens obscurs où les révolutions se mêlent à la guerre étrangère. La guerre est venue d’une rupture avec le Pérou. Que dans cette querelle il y eût une question litigieuse au sujet de la frontière des deux pays, c’est affaire de diplomatie qui ne pouvait certes conduire à la guerre lorsqu’il s’agissait de contrées désertes, de forêts vierges, dont aucun des deux états n’a rien fait jusqu’ici et ne fera rien de longtemps sans doute. Au fond, la vraie cause de mésintelligence et de conflit était d’une nature plus particulière et plus personnelle ; elle dérivait de l’antipathie profonde qui existait entre Urbina et Roblès d’une part et le général Castilla, président du Pérou, de l’autre. Les deux chefs équatoriens se croyaient intéressés, pour la sûreté de leur pouvoir, à renverser Castilla, lequel n’avait pas moins à cœur de renverser Urbina et Roblès. Il ne fallait qu’un prétexte ; ce prétexte fut le renvoi d’un ministre péruvien assez irascible, M. Cavero, que le gouvernement de l’Equateur fit partir de Quito.

Dès lors la guerre était déclarée, sinon entre les deux peuples, du moins entre deux influences ennemies acharnées à se détruire. Des forces navales péruviennes parurent devant Guayaquil, et de leur côté les chefs équatoriens se mirent en devoir de se défendre, de rendre à Castilla guerre pour guerre. Or ici on peut voir comment dans ces pays ces questions, simplement extérieures en apparence, se compliquent vite de tous les élémens de la situation intérieure. Si les Équatoriens n’avaient vu que la défense d’un intérêt national, ils auraient sans doute soutenu leur gouvernement ; mais dès que Castilla se proposait uniquement, comme il le déclarait, de renverser Roblès, ils furent très portés à faire des vœux en sa faveur. L’esprit d’opposition se fit jour surtout à l’occasion des pouvoirs extraordinaires demandés par le général Roblès aux chambres, et que les députés proposèrent peu après de lui enlever, en l’accusant formellement de vouloir s’en servir pour livrer les îles Galapagos aux Américains du Nord moyennant une somme de 2 ou 3 millions de piastres. Roblès et Urbina recoururent alors à leurs moyens ordinaires, — et le congrès, battu sans être content, fut obligé de céder la place à un arbitraire qui allait souvent jusqu’à la brutalité la plus soldatesque.