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moquer de mon prétendu, et la chose commence à le tourmenter, je vois cela !… Allons, Sept-Épées, mon ami, n’attendez plus personne, car la bourgeoise est ici. C’est moi qui vous parle et qui vous demande pardon de vous avoir laissé mystifier !

— Vous ! s’écria le jeune homme encore un peu inquiet, vous, la demoiselle, l’héritière ?…

— Oui, moi, Tonine, votre fiancée d’aujourd’hui et votre femme bientôt. N’allez-vous pas faire comme le parrain, qui disait que c’était impossible ? C’est plus que possible, puisque nous nous aimons et que j’ai votre parole. Mes amis, ajouta-t-elle en s’adressant aux autres, vous ne savez pas tous comment ces choses-là se sont passées. On a fait croire au compagnon que j’étais dans la dernière des misères, malade, et affreuse par-dessus le marché. Il est revenu quand même, de bien loin, pour m’épouser, et cela, sans même savoir le malheur arrivé à sa baraque, quand il pouvait encore se croire riche auprès de moi. Croyez-vous que je lui doive assez de confiance et d’estime à présent pour souhaiter d’être sa femme ?

— Oui, oui ! s’écria tout le monde. Oui, oui ! répondit, de la porte, Audebert, qui arrivait. Ô maison de l’amour et de l’amitié, je suspends ma couronne à ton seuil béni des dieux !

— Ami, lui répondit Tonine, faites-moi un présent de noces digne d’un homme comme vous ! Donnez-la-moi, cette couronne, suspendez-la ici pour toujours, et jurez de ne pas me la reprendre.

— Je le jure, s’écria Audebert, qui, depuis ce jour, ne songea plus à se parer de cet excentrique ornement ; je le jure, je le jure ! répéta-t-il par trois fois avec une antique solennité.

— Et j’accepte le serment de l’amitié, lui dit Tonine ; ces lauriers, que respectaient les habitans de la Ville-Noire, auraient fini par vous faire des envieux. Ici on les verra avec orgueil, car votre gloire nous appartient plus qu’à vous-même, et c’est à nous de la publier.

— Tu as raison, jeune et belle muse du travail ! répondit Audebert : j’ai peut-être paru manquer de candeur et de simplicité en portant ce gage de mon triomphe. Faites-moi place parmi vous, mes amis, je veux vous chanter l’épithalame de ces heureux époux.

— Au dessert ! au dessert ! dit le parrain, qui ne goûtait pas toujours la poésie de son camarade de jeunesse ; nous avons à parler d’affaires sérieuses. Voyons, filleul, que dis-tu de ce qui t’arrive ?

— Je dis que je suis heureux, parce que j’épouse Tonine, que j’ai toujours aimée, répondit Sept-Épées, voilà tout ce que je dis !… Qu’elle soit riche ou pauvre, peu importe, c’est elle ! ce n’est pas son nouveau rang et sa nouvelle fortune qui l’ont faite ce qu’elle est !

— C’est bien pensé, dit le docteur ; mais permettez-moi de vous dire que la richesse, car vous voilà tous deux très riches en compa-