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llanos. Accoutumé à passer son temps dans la province de Barcelone au milieu des nègres et des gens de couleur, frayant peu avec la société cultivée, il représentait passablement un chef campé en pays conquis, si bien qu’à l’expiration de sa présidence, le retour de Tadeo avait paru presque un bienfait au premier moment.

La présence au pouvoir de cette famille n’était pas moins le signe de l’humiliation et de l’abaissement de l’ancien parti conservateur ou oligarque, qui ne supportait le joug qu’avec impatience, et qui s’était souvent levé en armes pour le secouer. Les Monagas avaient réussi à dompter toutes les résistances, et même en 1858 l’aîné de la dynastie, alors président, le général Tadeo, venait de remporter une victoire qu’il croyait décisive : il avait fait réformer la constitution de façon à prolonger la durée de sa présidence. C’était cependant le moment où il était renversé tout d’un coup. On était las de cette domination semi-démocratique, semi-militaire, pleine d’oppression, de violence, de déprédations financières, qui durait depuis dix ans. La veille encore, le général Tadeo Monagas se croyait tout-puissant, le lendemain il tombait, il était menacé dans sa liberté et dans sa vie, et peut-être n’échappait-il à quelque représaille sommaire des vainqueurs qu’en se réfugiant d’abord à la légation de France, puis en quittant le pays sous la protection de la diplomatie, dont le rôle en ces circonstances était des plus difficiles et des plus ingrats.

Voilà donc une révolution accomplie à Caracas. Le chef de l’insurrection, le général Julian Castro, garda provisoirement la direction des affaires. Une convention nationale fut convoquée à Valencia pour faire une nouvelle constitution et réorganiser le pays. La difficulté cependant était de se mouvoir au milieu de tous les partis qui s’agitaient, de tracer la marche de la révolution qui avait triomphé le 15 mars 1858. Cette révolution n’était pas seulement l’œuvre des oligarques, bien qu’ils eussent particulièrement souffert de la domination des Monagas et pussent être considérés comme ses antagonistes naturels ; beaucoup de libéraux s’y étaient associés et l’avaient préparée en se séparant de la dernière présidence. Il y avait donc une lutte toujours possible au sein du nouveau pour voir, entre l’ancien parti conservateur, qui revenait, sur la scène, et les libéraux, qui prétendaient exercer une certaine influence. De plus, quelques méfaits qu’eût à se reprocher, le général Tadeo Monagas, il avait eu du moins le mérite, au dernier moment, d’abdiquer sans recourir aux armes et d’épargner au pays une guerre civile. Les amis du dernier président étaient assez nombreux, encore et avaient assez de moyens d’influence pour se faire compter, outre qu’une politique de réaction trop marquée pouvait faire éclater la