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d’un travail aussi actif que confus. Il semble que tous les intérêts, toutes les rivalités se soient donné rendez-vous dans ce coin de terre, transformé en champ de bataille industriel et diplomatique, comme toutes les parties du Nouveau-Monde à travers lesquelles un passage peut s’ouvrir entre l’Océan-Atlantique et l’Océan-Pacifique. Nicaragua, Tehuantepec, Panama, c’est sur ces trois points que les États-Unis ont les yeux, car sur ces trois points à la fois s’agite la question essentielle de ces contrées, la question du transit. C’est ce qu’on pourrait appeler la question des isthmes américains, et les États-Unis, sentant l’importance pour leur grandeur de rapides et faciles communications, ne négligent rien, on le comprend, pour s’assurer une certaine prépondérance sur ces voies interocéaniques, si favorables à leurs desseins. L’Angleterre, la France elle-même, sans vues exclusives, s’efforcent à leur tour de sauvegarder les droits, les intérêts de l’Europe et du commerce universel. De là ce conflit d’entreprises rivales, de négociations simultanées et contradictoires, et tout ce bruit enfin soulevé autour de cette question du transit, qui n’est résolue en fait jusqu’ici qu’à Panama par l’établissement du chemin de fer.

Ces luttes n’existeraient pas si, par leur constitution et par leurs moyens propres, les états centro-américains pouvaient régler en commun leurs affaires et maintenir une certaine autorité sur leur territoire. Malheureusement que sont ces républiques de l’Amérique centrale ? On le sait, elles ont des gouvernemens toujours menacés par les guerres civiles, des intérêts à peu près stationnaires, une population incohérente et rare, un degré de consistance qui ne résiste pas à l’invasion d’une bande de flibustiers étrangers. Il ne faut rien exagérer toutefois dans cet ordre de faits intérieurs : il n’y a eu que deux révolutions dans ces républiques en 1859, deux révolutions accomplies d’ailleurs sans effusion de sang au Salvador et à Costa-Rica. Quant aux autres parties de l’Amérique centrale, Nicaragua, Honduras, Guatemala, — elles ont vécu à peu près en paix, et il est à remarquer que ces cinq états, toujours prêts à en venir aux mains en cherchant toujours à se rapprocher, n’ont eu entre eux aucune querelle bien grave depuis quelque temps.

Guatemala, la plus importante des républiques centro-américaines, est depuis quelques années à l’abri des révolutions intérieures sous l’autorité d’un homme étrange, le général Rafaël Carrera. Ce personnage, devenu l’autocrate de la république guatémaltèque, est un ladino ou métis de naissance. Il a passé sa jeunesse dans la campagne, élevant des bestiaux, vivant au milieu des Indiens, sur lesquels il exerçait un certain prestige par son énergie et sa résolution. C’est en se servant de ces masses d’Indiens, en les conduisant au