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et énigmatiques pour d’autres, ce terrible esprit voyait se dessiner et se mouvoir sa pensée ; il lisait le roman de ses aventures démesurées dans cette sèche statistique. Tout le monde n’est pas Napoléon, — heureusement ; mais cet intérêt que l’empereur, en vrai chef guerrier, trouvait dans les états de ses armées, ceux qui réfléchissent sont plus naturellement fondés, ce me semble, à le chercher dans cet ensemble de faits et même de chiffres, qui sont en quelque sorte les états de la vie des peuples. La presse est le reflet quotidien de cette vie dans ce qu’elle a de plus actuel comme aussi dans ce qu’elle a de confus et souvent de contradictoire. L’œuvre d’une périodicité annuelle qui laissera un peu mûrir les événemens, qui permettra aux résultats de se dégager et aux contradictions du moment de se dissiper, cette œuvre sera déjà de l’histoire, une histoire constatant d’année en année les progrès des uns, la stagnation ou le déclin des autres, les efforts de tous. Ce sera la statistique morale, politique, diplomatique et matérielle de tous les pays, des extrémités de l’Orient jusqu’en Europe, du fond de l’Amérique jusqu’à l’empire de Russie ; en un mot, ce sera l’Annuaire des Deux Mondes, un livre qui fait son chemin depuis dix ans, où bien des fois on a puisé sans le dire, et qui deviendra un des plus étendus comme un des plus sérieux documens d’histoire contemporaine. Ce recueil, lui aussi, est l’état de cette grande armée dont les soldats sont des nations.

Assurément, dans toutes ces contrées dont l’Annuaire des Deux Mondes décrit encore une fois l’histoire ; et dont il fait l’abondant inventaire, il y a bien des problèmes qui s’agitent aujourd’hui, qui s’agitaient déjà il y a un an. Dans l’Inde, une insurrection formidable est à peine domptée après avoir contraint la puissance anglaise à un immense effort. En Chine, un choc est toujours imminent entre la civilisation de l’Occident et l’esprit oriental. Plus près de nous, sous nos yeux, la Russie poursuit la laborieuse expérience d’une transformation sociale par l’affranchissement des serfs de l’empire, L’Autriche, qui, après une guerre malheureuse, semble imiter en tout la Russie, s’est repliée en elle-même, et dans son recueillement elle trouve, elle aussi, à ce qu’il paraît, une leçon de progrès intérieur. La Prusse flotte de son côté entre des habitudes qui la rattachent aux traditions du droit de 1815 et les tentations d’agrandissement qui furent la politique de Frédéric II, le plus déterminé des annexionistes à coup sûr. L’Allemagne, profondément remuée et incertaine, se demande dans quelle sphère d’action elle sera entraînée, tandis que la lutte engagée en Italie s’est dénouée par la reconstitution d’une nationalité à qui il ne manque qu’une prudence virile pour assurer ce que les armes ont conquis. Au-delà des Pyrénées même, un ébranlement de patriotisme a jeté l’Espagne dans