Ce monde est un vaste laboratoire où tout subit la grande, la mystérieuse et implacable loi de la transformation, du travail et de l’épreuve. D’une extrémité à l’autre du globe, des races qui se connaissent à peine s’agitent dans des sphères d’action différentes. La civilisation apparaît à la fois à tous les degrés, dans ses phénomènes les plus caractéristiques, mœurs, religions, organisations politiques, crises intérieures qui dégénèrent en révolutions, antagonismes nationaux d’où naissent les guerres. Une des œuvres les plus curieuses, les plus instructives, je l’ai toujours pensé, serait celle où, à travers des faits rassemblés avec un zèle sérieux d’exactitude, distribués dans un ordre simple et juste, on sentirait palpiter cette vie universelle. Par là on arriverait à connaître les directions essentielles du monde contemporain et à suivre la fortune inégale de tous les peuples engagés dans les luttes de la vie. Napoléon, qu’on a cru communément peu accessible aux émotions poétiques, écrivait un jour à son frère Joseph qu’il lisait les états de ses troupes, et qu’il goûtait à cette lecture autant de plaisir qu’une jeune fille en pouvait prendre à lire un roman : c’est que dans ces chiffres, muets