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en répondant à ces plaintes du colonel Williams, font ce qu’ils peuvent ; mais, permettez-moi de vous le rappeler, le désordre n’est pas moindre dans l’administration que dans l’armée. Partout l’honnêteté, l’intelligence, le patriotisme, font défaut ; les finances sont dilapidées, les ressources du pays épuisées. Le gouvernement, dans son impuissance à créer une armée régulière, en est réduit à appeler sous ses drapeaux des hordes indisciplinées. ». Ainsi qu’il arrive aux empires parvenus au dernier degré de la décrépitude, le temps se passait en discussions, en projets, en enquêtes, en ordonnances, en paroles enfin. Rien ne se faisait. S’agissait-il d’envoyer les vêtemens et les armes demandés par le colonel Williams, le séraskier répondait imperturbablement que les convois étaient déjà partis pour l’Asie. Puis, comme rien n’arrivait, il alléguait à lord Stratford des causes réelles ou imaginaires de retard : les convois allaient partir, ils étaient partis, ils étaient arrivés à Trébizonde, et, fait incroyable, un an après, au moment où la garnison de Kars allait capituler, le séraskier apprenait à lord Stratford que certainement les effets d’habillement, les armes et les munitions avaient été débarqués dans le port de Trébizonde, mais que depuis lors il était impossible de savoir ce que cet envoi était devenu ! Il en était de même de la solde. Le sultan avait bien rendu un firman par lequel il ordonnait l’envoi à Kars de 43,000 bourses ; mais le ministre des finances, au lieu d’envoyer l’argent, avait entamé avec le defterdar une interminable correspondance pour se faire rendre préalablement compte des sommes que Moustafa-Zarif-Pacha avait reçues l’année précédente. Or, comme personne ne savait l’usage qu’il en avait fait, le temps s’écoulait en plaintes, en enquêtes, en récriminations. Le defterdar était en avance de 10,000 bourses, et sa caisse contenait tout juste 1,500 bourses destinées à satisfaire aux menues dépenses de tous les jours. Quant aux renforts, le divan ne faisait nulle difficulté de reconnaître qu’il lui était impossible d’en envoyer. La conscription ne fournissait en réalité que 18 ou 20,000 hommes par an ; les réserves avaient été appelées en totalité, ainsi que les contingens des provinces vassales de l’empire. Les Turcs n’avaient cependant guère plus de 140,000 hommes sous les armes, dont 50,000 se trouvaient en Bulgarie, 60,000 en Crimée, 30,000 en Asie.

Leur situation de ce côté était des plus critiques. La garnison de Kars absorbait à elle seule 18,000 hommes, celle de Bathoum de 7 à 8,000 ; encore ces troupes étaient-elles tout juste suffisantes pour occuper ces positions. En cas d’agression de la part de la Russie, il ne fallait pas moins de 20,000 hommes pour défendre les passages secondaires des montagnes et couvrir Erzeroum. Ce n’était pas tout