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désorganisé l’armée ; ils ont réduit les soldats de sa majesté impériale à la misère, ils ont rempli d’une douleur profonde le cœur des fidèles sujets du sultan. Vassif-Pacha, immédiatement après son arrivée, ouvrira une enquête sur la conduite des fonctionnaires grands et petits ; il fera arrêter et enverra ici tous ceux dont la culpabilité sera démontrée, pour qu’ils soient punis conformément aux lois. La Sublime-Porte a pris la résolution de ne pas laisser impunis les méfaits de ces êtres, qui, par leur corruption, tombent bien au-dessous de l’humanité. Ni le rang ni les relations des coupables ne leur feront obtenir la moindre indulgence. Décidément l’intention du gouvernement impérial est que Vassif-Pacha, libre de toute préoccupation, purge l’armée de cette bande de concussionnaires ; mais Vassif-Pacha ne doit pas oublier qu’une fois entré dans cette voie, il doit y persévérer : s’il agissait autrement, le désordre reprendrait bientôt son cours. De plus, qu’il le sache bien, il ne suffit pas qu’un général soit lui-même honnête, il faut qu’il empêche les gens de sa suite de voler ; il doit apporter la plus grande attention aux fournitures de l’armée, prévenir les malversations, veiller à l’exacte distribution des rations, donner en un mot tous ses soins au bien-être de ses troupes. Pour convaincre son excellence de l’importance des recommandations que nous lui adressons ici, nous croyons nécessaire de lui rappeler que les odieuses malversations commises à Erzeroum et à Kars sont connues dans tout l’empire ottoman, et sont même devenues un texte de conversation en Europe. L’honneur et le patriotisme nous font un devoir de ne pas permettre que les crimes d’un petit nombre d’êtres misérables, qui ne méritent pas le nom d’hommes, nous fassent passer pour un peuple apathique et corrompu. Vassif-Pacha est donc autorisé à user de la plus grande sévérité… Si son excellence négligeait les investigations que nous lui recommandons, s’il venait, par quelque raison que ce soit, à cacher les faits qui parviendraient à sa connaissance, il en serait responsable envers la Porte dans ce monde, et dans l’autre envers Dieu. »


Or, il ne faut pas l’oublier, le ministre qui adressait au mouchir ces belles instructions était ce même Riza-Pacha dont lord Stratford, dans ses dépêches, flétrissait « l’administration perverse. » Son nom se retrouvait au fond de toutes les iniquités, de toutes les intrigues, de toutes les malversations. Grâce à son incurie, l’armée, depuis le commencement de la guerre, était abandonnée sans ressources au fond de l’Asie. Il n’était pas le seul coupable ; son successeur, Méhémet-Rouchdi-Pacha, opposait à toutes les réclamations de lord Stratford la même force d’inertie. À la veille de cette campagne qui devait consommer sa ruine, la malheureuse armée d’Anatolie n’avait encore reçu ni solde, ni vêtemens, ni munitions, ni renforts. « Il semble, écrit le colonel Williams le 2 avril 1855, que les autorités de Constantinople prennent un secret plaisir à ruiner la seule armée qui leur reste en Asie. En dépit de toutes mes représentations sur notre dénûment absolu, nous n’avons obtenu ni souliers, ni sacs pour notre infanterie, ni bottes ni sabres pour notre cavalerie ; pas un soldat n’est venu nous rejoindre. » — « Les Turcs, dit lord Stratford