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qui conservaient quelque valeur, et les ont vendus comme butin enlevé aux Russes. Les médecins et les chirurgiens militaires sont d’une incroyable ignorance… La source de tout le mal est à Constantinople : les professeurs des écoles doivent leurs fonctions à l’intrigue ou à l’argent ; à leur tour, ils se laissent influencer par les mêmes causes, et accordent les diplômes sans tenir le moindre compte du mérite réel des candidats. »

« — Les colonels ont recommencé à voler le riz du soldat, écrit une autre fois le lieutenant Teesdale… Les colonels envoient leurs soldats couper du bois qu’ils vendent ensuite pour leur propre compte… Les colonels volent sur le prix des chevaux qu’ils achètent pour le compte du gouvernement. La somme de 10 livres sterling leur est généralement allouée à cet effet ; ils paient 4 ou 5 livres des chevaux de rebut et gardent le reste. »

« — Le defterdar, écrit le colonel Williams à Sirri-Pacha, vous accuse de trafiquer des misères de l’armée en forçant les paysans de vous vendre à bas prix le grain que vous revendez ensuite avec de gros bénéfices au sultan ; Il vous accuse aussi de l’avoir contraint, par l’entremise de Kérim-Pacha, à vous payer 75,000 piastres pour vous-même et 50,000 pour les dépenses arriérées. Ces dépenses arriérées sont en réalité la part de ces indignes colonels qui volent le riz du soldat. Je vous préviens que je ne vous laisserai pas vous joindre au pillage général. »


Nous hésiterions à admettre une démoralisation aussi complète, si elle ne nous était attestée par le gouvernement ottoman lui-même. Les instructions adressées par le grand-vizir et le séraskier ne nous laissent aucun doute à cet égard ; nous en reproduisons fidèlement le texte.


« L’armée sur laquelle le gouvernement comptait le plus au commencement de la guerre avec la Russie était l’armée d’Anatolie. Pour l’amener à l’état de désorganisation où elle se trouve aujourd’hui, il a fallu les fautes accumulées par ses chefs depuis le commencement de cette guerre. Les uns n’ont à se reprocher que leur négligence et leur incapacité, les autres de plus se sont rendus coupables de malversations de tout genre.

« Les opérations militaires ont été conduites avec ineptie et déraison. Évidemment il fallait avant tout rassurer et protéger les populations qui venaient faire leur soumission et offrir leurs services : elles ont été livrées à la fureur des bachi-bozouks, qui ont jeté partout la terreur par leurs excès. Les sujets du sultan ont été les premières victimes de ces vagabonds.

« L’usage dégoûtant de voler le gouvernement est condamnable en tout temps ; mais il l’est plus particulièrement dans un moment où la Porte soutient une lutte qui peut décider de son existence. Il est alors du devoir de tout homme qui conserve au fond du cœur le moindre sentiment d’honnêteté et de patriotisme de s’abstenir de semblables prévarications, et de ne pas quitter le sentier de l’intégrité. Des gens méprisables ont profité de ces temps de trouble pour satisfaire leurs intérêts privés aux dépens du gouvernement ; ils ont ainsi acheté du grain à bas prix pour le lui revendre le double de ce qu’il valait. D’autres ont eu l’impudence de soustraire une partie des rations destinées à l’armée impériale, dont nous devons cependant prendre plus de soin que de nous-mêmes. Ces actes répréhensibles ont