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l’incurie du gouvernement et des généraux que, malgré la rigueur du froid, leur tenue était encore le pantalon de toile. Sous leurs haillons, ces malheureux soldats conservaient un air martial ; leurs armes étaient bien entretenues, ils les maniaient avec aisance et régularité, mais c’était tout. Leur instruction, en ce qui touche l’école de peloton et de bataillon, était complètement négligée. Les manœuvres les plus simples s’exécutaient avec lenteur et confusion.

La cavalerie était hors d’état de rendre le moindre service : les vices de son. organisation ne lui permettaient même pas de soutenir la comparaison avec la cavalerie irrégulière des bachi-bozouks. Les hommes, formés par des instructeurs européens à une école dont les principes sont en désaccord avec les usages du pays, étaient pour la plupart mauvais cavaliers. Nous devons ajouter qu’ils n’avaient ni bottes, ni éperons, et que leur armement était des plus mal entendus. Quant aux chevaux, de race petite, mais vigoureuse, ils étaient tellement exténués qu’ils pouvaient à peine supporter le poids de l’homme. Les bachi-bozouks au contraire, livrés à eux-mêmes et vivant aux dépens du pays, avaient pour leurs chevaux la sollicitude qui distingue les Orientaux. Ils les montaient à leur mode et en tiraient un très bon parti. Armés de l’antique djerid, ils lançaient avec une adresse merveilleuse ce long roseau dont la pointe acérée transperçait l’ennemi avant qu’il pût les joindre à l’arme blanche. Malheureusement les bachi-bozouks, recrutés parmi les tribus kourdes que les mesures du sultan Mahmoud avaient exaspérées, n’étaient attirés cette fois sous les drapeaux que par l’espoir du pillage. C’étaient de lâches brigands, et rien ne rappelait en eux la valeur des sipahis, véritables seigneurs féodaux dont les derniers débris ont été enveloppés dans la ruine des janissaires.

L’artillerie seule était dans des conditions meilleures. Les hommes sans doute étaient tout aussi déguenillés, mais les chevaux avaient moins souffert, le matériel était en état convenable. Le contraste avec les autres armes était même frappant. On en peut trouver la cause dans l’aptitude et la prédilection des Turcs pour le service de l’artillerie. Cette disposition est naturelle à toutes les races asiatiques, et les instructeurs ont formé ainsi une classe d’excellens sous-officiers qui, à défaut d’officiers, répondent aux premières exigences du service en campagne.

Ce ne sont pas, on le voit, les soldats qui manquent à l’empire ottoman. Encore aujourd’hui les Turcs méritent cet éloge suprême que leur donne Montecuculli : « ils sont braves, sobres et patiens ; » mais ces qualités sont frappées d’impuissance par le défaut d’organisation. Dans le système de guerre moderne, il ne faut pas l’oublier, l’individu disparaît ; les masses organisées jouent seules un rôle, et par ce motif les cadres d’une armée font toute sa force. Or dans l’armée