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puissent être traversées sur d’autres points, elles ne livrent un passage facile que dans la partie suivie par la grande route d’Erzeroum à Tiflis. Cette route franchit la chaîne de l’Ararat au col désigné par les indigènes sous le nom de Soghanly-Dagh, coupe la plaine qu’arrose le Kars-Tchaï, s’enfonce dans l’Alaghez, et par la gorge d’Ellidara gagne Tiflis et la Géorgie. Aussi le premier soin du sultan Mourad III, après la conquête de Tiflis, fut-il de se rendre complètement maître de cette communication en fortifiant la ville de Kars. Ce sultan, dont le nom est resté attaché aux grands monumens de la puissance militaire des Turcs en Asie, fit quelques années après relever l’enceinte d’Erivan et remettre en état de défense les autres villes enlevées aux Persans. Il couvrit le pays d’un réseau de places et de châteaux-forts qui servaient à ses armées de dépôts de vivres et de munitions, qui jalonnaient les étapes des colonnes et leur permettaient ainsi de se mouvoir librement dans un pays impraticable à la marche de longs convois.

Dans le système de défense que les Turcs avaient adopté, ils conservaient en Géorgie quelques avant-postes, tels que les châteaux de Tiflis, de Gori, de Gandzak, destinés à tenir en bride les princes chrétiens et les khans des bords de la Caspienne, qui reconnaissaient la suzeraineté de la Porte ; mais leurs véritables lignes de défense étaient d’abord la chaîne de l’Alaghez : les passages de ces montagnes étaient occupés par des châteaux, dont quelques-uns ont encore joué un rôle dans les guerres avec la Russie. L’histoire nous a transmis ainsi les noms des châteaux d’Atzchweri, de Kerthvisi, d’Achalkalaki. Plus loin s’étend jusqu’au pied de l’Ararat un vaste et fertile plateau. Au milieu de ces plaines s’élevaient trois grandes places fortes, où pendant le cours de leurs guerres se concentraient les armées turques : Kars, Érivan et Achaltziche. Enfin, sur le revers opposé de l’Ararat, les villes d’Olti, Hassan-Kalé, Toprak-Kalé, Bajazid, reliées par une multitude de châteaux, couvraient en dernière ligne la capitale de l’Anatolie.

Tel était l’ensemble des positions que les Turcs, à l’époque de leur grandeur, occupaient en Arménie. Ils s’y étaient longtemps maintenus au milieu d’alternatives de succès et de revers. Cependant les Persans avaient fini par recouvrer une partie des territoires perdus. De longues brèches se trouvaient ouvertes ainsi dans les lignes de défense des Turcs, quand un nouvel ennemi, apparaissant au-delà du Caucase, vint menacer l’existence des deux nations rivales. Les progrès de la Russie furent rapides. Aujourd’hui elle est solidement assise en Géorgie ; elle a forcé la ligne de l’Alaghez. La place d’Achaltziche, enlevée aux Turcs en 1828, et la citadelle de Goumry, hexagone bastionné construit depuis cette époque au débouché