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mariage. Il l’apaise, il la conseille, il lui indique la mesure précise, le vrai biais qui doit accommoder les choses : « Vous devez avoir du dégoût pour votre mari, mais tout juste ce qu’il en faut afin d’avoir du goût pour votre amant. » Elle s’écrie avec désespoir : « Pourquoi m’avez-vous fait épouser cet homme ? » Il sourit d’un air composé : « Pourquoi commettons-nous tous les jours des actions dangereuses et désagréables ? Pour sauver cette idole, la réputation. » Comme ce raisonnement est tendre ! Peut-on mieux consoler une femme qu’on a jetée dans l’extrême malheur ? Et comme l’insinuation qui suit est d’une logique touchante ! « Si la familiarité de nos amours avait produit les conséquences que vous redoutiez, sur qui auriez-vous fait tomber le nom de père avec plus d’apparence que sur un mari ? » Il insiste en style excellent ; écoutez ce dilemme d’un homme de cœur : « Votre mari était juste ce qu’il nous fallait, ni trop vil, ni trop honnête. Un meilleur eût mérité de ne pas être sacrifié à cette occasion, un père n’aurait pas répondu à notre idée. Quand vous serez lasse de lui, vous savez le remède. » C’est ainsi qu’on ménage les sentimens d’une femme, surtout d’une femme qu’on a aimée. Pour comble, ce délicat entretien a pour but de faire entrer la pauvre délaissée dans une intrigue basse qui procurera à Mirabell une jolie femme et une belle dot. Certainement le gentleman sait son monde, on ne saurait mieux que lui employer une ancienne maîtresse. Voilà les personnages cultivés de ce théâtre, aussi malhonnêtes que les personnages incultes, ayant transformé les mauvais instincts en vices réfléchis, la concupiscence en débauche, la brutalité en cynisme, la perversité en dépravation, égoïstes de parti-pris, sensuels avec calcul, immoraux de maximes, réduisant les sentimens à l’intérêt, l’honneur aux bienséances, et le bonheur au plaisir.

La restauration anglaise tout entière fut une de ces grandes crises qui, en faussant le développement d’une société et d’une littérature, manifestent l’esprit intérieur qu’elles altèrent et qui les contredit. Ni les forces n’ont manqué à cette société, ni le talent n’a manqué à cette littérature ; les hommes du monde ont été polis, et les écrivains ont été inventifs. On eut une cour, des salons, une conversation, la vie mondaine, le goût des lettres, l’exemple de la France, la paix, le loisir, le voisinage des sciences, de la politique, de la théologie, bref toutes les circonstances heureuses qui peuvent élever l’esprit et civiliser les mœurs. On eut la vigueur satirique de Wycherley, le brillant dialogue et la fine moquerie de Congreve, le franc naturel et l’entrain de Van Brugh, les inventions multipliées de Farquhar, bref toutes les ressources qui peuvent nourrir l’esprit comique et ajouter un vrai théâtre aux meilleures constructions de l’esprit humain. Rien n’aboutit, et tout avorta. Ce monde n’a laissé qu’un