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boudoir, il y a un sopha. Oui, je ferai la première impression sur un sopha. Je ne serai pas couchée pourtant ? mais penchée et appuyée sur un coude, avec un pied un peu pendant, dépassant la robe et dandinant d’une façon pensive. Oui, et alors, aussitôt qu’il paraîtra, je sursauterai, c’est cela, je sursauterai, et je serai surprise, et je me lèverai pour aller à sa rencontre dans le plus joli désordre. » Ces agitations de coquette mûre deviennent encore plus véhémentes au moment critique[1]. Lady Pliant, sorte de Belise anglaise, se croit aimée de Millefond, qui ne l’aime pas du tout et tâche en vain de la détromper : « Pour l’amour du ciel, madame ! — Oh ! ne nommez plus le ciel. Bon Dieu, comment pouvez-vous parler du ciel et avoir tant de perversité dans le cœur ? Mais peut-être vous ne pensez pas que ce soit un péché. On dit qu’il y a des gentlemen parmi vous qui ne pensent pas que ce soit un péché. Peut-être n’est-ce point un péché pour ceux qui pensent que ce n’en est pas un. En vérité, si je pensais que ce n’est pas un péché… Pourtant mon honneur… Non, non, levez-vous, venez, vous verrez combien je suis bonne. Je sais que l’amour est puissant, et que personne ne peut s’empêcher d’être épris. Ce n’est pas votre faute… Et vraiment je jure que ce n’est pas non plus la mienne. Comment pouvais-je m’empêcher d’avoir des charmes ? Et comment pouviez-vous vous empêcher de devenir mon captif ? Je jure que c’est une vraie pitié que ce soit une faute ; mais mon honneur… Oui, mais votre honneur aussi… Et le péché ! Oui, et la nécessité !… O Seigneur Dieu, voici quelqu’un qui vient. Je n’ose rester. Bien, vous devez réfléchir à votre crime, et lutter autant que vous pourrez contre lui, — lutter, certainement ; mais ne soyez pas mélancolique, ne vous désespérez pas. N’imaginez pas non plus que je vous accorderai jamais quoi que ce soit. Oh ! non, non… Mais faites état qu’il vous faut quitter toutes les idées de mariage, car j’ai beau savoir que vous n’aimiez Cynthia que comme un paravent de votre passion pour moi, cela pourtant me rendrait jalouse. Oh ! bon Dieu, qu’est-ce que j’ai dit ? Jalouse, non, non. Je ne peux pas être jalouse, puisque je ne dois pas vous aimer. Aussi n’espérez pas ; mais ne désespérez pas non plus. Oh ! les voilà qui viennent, il faut que je me sauve. » Elle se sauve, et nous ne courons pas après.

Cette étourderie, cette volubilité, cette jolie corruption, ces façons évaporées et affectées se rassemblent en un portrait le plus brillant, le plus mondain de ce théâtre, celui de mistress Millamant, « une belle dame, » dit la liste des personnages[2]. Elle entre

  1. Congreve, Double Dealer.
  2. Congreve, The Way of the World.