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fine limite sépare les bienséances et la flatterie, la véracité et la maladresse. Sur cette ligne étroite, il avance exempt d’embarras et de méprises, sans être jamais dérouté par les heurts ou les changemens du contour, sans permettre au fin sourire de la politesse de quitter jamais ses lèvres, sans manquer une occasion d’accueillir par le rire de la belle humeur les balourdises de son voisin. C’est cette dextérité toute française qui concilie en lui l’honnêteté foncière et l’éducation mondaine ; sans elle, il irait tout d’un côté ou tout de l’autre. C’est par elle qu’entre les roués et les pécheurs la comédie trouve son héros.

Un tel théâtre peint une race et un siècle. Ce mélange de solidité et d’élégance appartient au XVIIe siècle et nous appartient. Le monde ne nous déprave point, il nous développe. Ce n’étaient pas seulement les manières et l’intérieur qu’il polissait alors, mais encore les sentimens et les idées. La conversation provoquait la pensée ; elle n’était pas un bavardage, mais un examen. Avec l’échange des nouvelles, elle provoquait le commerce des réflexions. La théologie y entrait, et aussi la philosophie ; la morale et l’observation du cœur en faisaient l’aliment quotidien. La science gardait sa sève et n’y perdait que ses épines. L’agrément recouvrait la raison sans l’étouffer. Nulle part nous ne pensons mieux qu’en société : le jeu des physionomies nous excite ; nos idées si promptes naissent en éclairs au choc des idées d’autrui. L’allure inconstante des entretiens s’accommode de nos soubresauts, le fréquent changement de sujets renouvelle notre invention ; la finesse des mots piquans réduit les vérités en monnaie menue et précieuse, appropriée à la légèreté de notre main. Et le cœur ne s’y gâte pas plus que l’esprit. Le Français est de tempérament sobre, peu enclin aux brutalités d’ivrognes, à la jovialité violente, au tapage des soupers sales ; il est doux d’ailleurs, prévenant, toujours disposé à faire plaisir ; il a besoin pour être à l’aise de ce courant de bienveillance et d’élégance que le monde forme et nourrit. Et là-dessus il érige en maximes ses inclinations tempérées et aimables ; il se fait un point d’honneur d’être serviable et délicat. Voilà l’honnête homme, œuvre de la société dans une race sociable. Il n’en était pas ainsi en Angleterre. Les idées n’y naissent point dans l’élan de la causerie improvisée, mais dans la concentration des méditations solitaires ; c’est pourquoi alors les idées manquaient. L’honnêteté n’y est pas le fruit des instincts sociables, mais le produit de la réflexion personnelle ; c’est pourquoi alors l’honnêteté était absente. Le fonds brutal était resté, l’écorce seule était unie. Les façons étaient douces et les sentimens étaient durs ; le langage était paré, les idées étaient frivoles. La pensée et la délicatesse d’âme étaient rares, les talens et l’esprit disert étaient fréquens. On y rencontrait