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acte de Pompée, Denham des fragmens d’Homère, de Virgile, un poème italien sur la justice et la tempérance. Rochester compose un poème sur l’homme dans le goût de Boileau, une épître sur le rien ; Waller, l’amoureux, fabrique un poème didactique sur la crainte de Dieu, un autre en six chants sur l’amour divin. Ce sont des exercices de style. Ces gens prennent une thèse de théologie, un lieu-commun de philosophie, un précepte de poésie, et le développent en prose mesurée, munie de rimes ; ils n’inventent rien, ne sentent pas grand’chose, et ne s’occupent qu’à faire de bons raisonnemens avec des métaphores classiques, en termes nobles, sur un patron convenu. La plupart des vers consistent en deux substantifs munis de leurs épithètes et liés par un verbe, à la façon des vers latins de collège. L’épithète est bonne ; il a fallu feuilleter le Gradus pour la trouver, ou, comme dit Boileau, emporter le vers inachevé dans sa tête, et rêver une heure en plein champ, jusqu’à ce que au coin d’un bois on ait trouvé le mot qui avait fui. — Je bâille, mais j’applaudis. C’est à ce prix qu’une génération finit par former le style soutenu qui est nécessaire pour porter, publier et prouver les grandes choses. En attendant, avec leur diction ornée, officielle, et leurs pensées d’emprunt, ils sont comme des chambellans brodés, compassés, qui assistent à un mariage royal ou à un baptême auguste l’esprit Vide, l’air grave, admirables de dignité et de manières, ayant la correction et les idées d’un mannequin.

Un d’eux (Dryden toujours à part) s’est élevé jusqu’au talent, sir John Denham, secrétaire de Charles Ier, employé aux affaires publiques, qui, après une jeunesse dissolue, revint aux habitudes graves, et laissant derrière lui des chansons satiriques et des polissonneries de parti, atteignit dans un âge plus mûr le haut style oratoire. Son meilleur poème, Cooper’s Hill, est la description d’une colline et de ses alentours, jointe aux souvenirs historiques que sa vue réveille et aux réflexions morales que son aspect peut suggérer. Tous ces sujets sont appropriés à la noblesse et aux limites de l’esprit classique, et, déployant ses forces sans révéler ses faiblesses, le poète peut ainsi ne dire que ce que ses yeux ont vu et ce que son âme a pensé. Le beau langage rencontre alors toute sa beauté, parce qu’il est sincère. On a du plaisir à suivre le déroulement régulier de ces phrases abondantes où les idées opposées et redoublées atteignent pour la première fois leur assiette définitive et leur clarté complète, où la symétrie ne fait que préciser le raisonnement, où le développement ne fait qu’achever la pensée, sans que jamais l’antithèse et la répétition y apportent leurs badinages et leurs afféteries, où la musique des vers, ajoutant l’ampleur du son à la plénitude du sens, conduit le cortège des idées sans effort et sans désordre sur un rhythme approprié à leur bel ordre et à leur mouvement. L’agrément