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intimider. — Si vous n’y allez pas, une autre ira à votre place, et j’ai l’idée que Marthe vous en rapportera demain une provision.

Je m’arrêtai. — Capin, lui dis-je assez durement, pas plus que moi vous ne croyez au sabbat ni aux mandagots. Vous voulez faire du tort à Marthe ; mais sous peu de jours elle sera ma femme, et je la défendrai.

Le maquignon, approchant alors sa bouche de mon oreille : — Et si cette nuit, me dit-il, je vous la montrais dans la Lande des Sorciers ?

Je lui répondis par une sorte de sifflement qui indiquait l’incrédulité la plus complète.

— Je vous dis la vérité, continua-t-il. La soirée est belle, venez avec moi jusqu’à la lande. Si vous ne voyez pas le sabbat, vous verrez peut-être autre chose, et vous ne direz plus que je suis un menteur.

Si j’avais pu entrer dans la maison de Noguès, je n’aurais pas suivi le maquignon ; mais tout le monde était couché, je ne voulais pas faire de scandale, je suivis Capin.

La nuit était belle. Quelques hailles retardataires flamboyaient de loin en loin, La lune montait à l’horizon. Les chemins étaient déserts. Capin marchait auprès de moi. Nous gardions tous deux le silence. J’étais en colère contre lui et contre moi : contre lui, car je voyais bien qu’il allait essayer de me rendre victime de quelque supercherie ourdie par ses mains ; contre moi, car je manquais de confiance vis-à-vis de Marthe, et je me sentais coupable d’une sorte de trahison. Il marchait très rapidement, et je m’aperçus qu’il prenait le chemin le plus difficile, mais le plus direct.

Nous arrivâmes enfin sur le plateau, qui était éclairé par la lune. La lande était déserte ; la vieille tour du moulin planait sur cette solitude. Le silence le plus complet régnait partout. Le maquignon jeta un regard rapide autour de lui.

— Eh bien ? lui dis-je.

— Attendez, répondit-il. Et il m’entraîna derrière une touffe de genêt épineux parvenu à l’état arborescent.

Nous n’attendîmes pas longtemps. Une voix se fit entendre, une voix que je connaissais, celle de la Chouric, et bientôt nous pûmes l’apercevoir. Elle n’était pas seule. À côté d’elle était une autre femme couverte d’une capule. Cette femme avait la taille de Marthe ; mais eût-il fait grand jour, on n’eût pu la reconnaître, car sa figure était soigneusement cachée. Je serrai violemment le bras du maquignon. — Ce n’est pas Marthe, lui dis-je.

Il se contenta de répondre encore : — Attendez.

Les deux femmes se dirigèrent vers le moulin. Elles y entrèrent et y restèrent quelques momens. Lorsqu’elles en sortirent, une troisième