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avec curiosité et impatience. Je demandai où était Marthe ; la Capinette jeta avec étonnement les yeux autour d’elle, et me dit que Marthe était probablement à la plaine, qu’elle allait rentrer. La nuit tomba tout à fait, Marthe ne rentrait pas. Je commençais à être inquiet, peut-être un peu jaloux. Elle arriva enfin. Elle était tout essoufflée. Elle portait sur sa tête un grand tablier rempli de fèves et de pois. Son arrivée fut le signal de la fête. Déjà, à tous les points de l’horizon, on voyait s’élever vers le ciel de longues colonnes de flammes rouges qui pendant quelques instans brillaient dans l’obscurité, qu’elles constellaient d’étincelles, et disparaissaient comme des étoiles filantes. Le vent nous apportait les chants et les cris de fête, et nous pouvions voir se dessiner autour de la flamme les silhouettes des paysans qui dansaient autour des feux les plus rapprochés. Noguès alluma la haille aux vifs applaudissemens des enfans, qui attendaient ce moment avec impatience. Le maître, la maîtresse, tous les domestiques de la maison et quelques voisins se prirent par la main et commencèrent une ronde autour du feu de joie. Marthe ne dansait pas, elle se tenait à l’écart. À la lueur de cette grande flamme, elle me parut pâle et inquiète. Je lui adressai deux ou trois fois la parole, elle me répondit à peine. Je ne m’en étonnai point, elle n’aimait pas ces divertissemens bruyans. La haille, après avoir jeté une vive lueur, s’éteignit peu à peu, et avec elle les chants cessèrent. Les enfans s’exercèrent à franchir la flamme, devenue plus modeste ; les gens superstitieux se chauffèrent le dos, car il est reconnu que ceux qui se chauffent le dos au feu de la Saint-Jean sont préservés de la sciatique ; d’autres faisaient cuire de l’ail dans la cendre, ce qui guérit de je ne sais quelle autre maladie. Le feu finit par s’éteindre entièrement, et tout rentra dans l’obscurité et le silence.

— En voilà jusqu’à l’année prochaine ! dit une voix à côté de moi.

Je me retournai et j’aperçus le maquignon. Ce personnage m’inspirait une répulsion que je ne me donnais plus la peine de dissimuler : je ne lui répondis pas ; mais l’impudence était l’essence même de sa nature. — Une belle nuit pour le sabbat ! .. continua-t-il. Les sorcières auront beau jeu pour ramasser la graine de fougère et pour attraper les mandagots[1]. C’est le jour ou plutôt c’est la nuit de leur passage. Vous n’avez jamais eu l’idée d’attraper une paire de mandagots ?

Je hâtai le pas sans lui répondre ; mais il continua sans se laisser

  1. Les mandagots sont des chats qui, à ceux qui s’en rendent maîtres, révèlent les trésors cachés.