blessée. Noguès, au milieu de ses compagnons de la veille, paraissait radieux.
— Eh bien ! monsieur le curé, dit-il, y a-t-il des sorciers, et la Chouric est-elle sorcière ? Je lui fais grâce pour cette fois, mais qu’elle n’y revienne plus ! Maintenant que j’ai tâté de ce gibier-là, la main ne me tremblera plus, et je ne la manquerai pas.
— Misérable ! répondit mon oncle, vous pouvez aller en cour d’assises !
— En cour d’assises ! qu’ai-je fait ? J’ai tiré sur un loup blanc. Cela n’est-il pas permis ? Il y a plus de dix personnes qui m’ont vu tirer. Votre neveu lui-même était présent. Si la Chouric ne veut pas qu’on tire sur elle, pourquoi s’habille-t-elle en bête ?
Mon oncle me regarda sévèrement. Il essaya de sonder le masque impénétrable du maquignon : il pensait avec raison que le coup partait de là, et soupçonnait quelque cruelle supercherie ; mais le moment de chercher à la dévoiler n’était pas venu, Noguès avait pour lui l’autorité des faits. Tous ceux qui étaient là se fussent déclarés en sa faveur. Ayant aperçu le Muscadin : — Que fais-tu dans cette maison ? lui dit mon oncle durement ; va soigner ta mère.
Le Muscadin hésita, il balbutia quelques mots ; puis, faisant un effort sur lui-même : — Tant pis pour la sorcière !… s’écria-t-il ; qu’elle aille chercher une famille au sabbat ! — Maître, continua-t-il en se tournant vers Noguès, payez-moi ce que vous me devez. Je partirai ce soir, je me ferai soldat. Quand bien même Marthe me voudrait encore, je ne puis la prendre pour femme ; qui sait quel charme elle lui a jeté ?
Marthe fit un mouvement. Sa bouche s’ouvrit, mais trop de regards étaient dirigés sur elle. Devant cette réprobation générale, elle garda le silence. Nous retournâmes au presbytère. Ce soir-là même, le Muscadin quittait Carabussan, et moi je retournais à Aire.
J’étais heureux de revenir au séminaire. J’avais besoin de vivre dans cette calme atmosphère pour recouvrer l’équilibre de mes facultés, gravement compromis, et par mon amour, et par les scènes étranges dont j’avais été le témoin. Je cherchai dans un travail opiniâtre un remède contre le trouble qui m’agitait. Je déployai un zèle extraordinaire dans l’exercice de mes devoirs religieux. Je trouvai dans la prière un auxiliaire puissant, et néanmoins, pendant les deux années que je passai au petit séminaire, je pensai bien souvent à Marthe. Des fenêtres de ma chambre, j’apercevais une grande partie de la vallée de l’Adour ; je n’avais pour horizon que les montagnes et les piñadas. Combien de journées, combien