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ses airs favoris ; mais, trouvant sans doute que cette musique de tous les jours n’était pas à la hauteur des fonctions qu’il remplissait, il tira de sa poche une guitare. La guitare, chez les paysans gascons, n’est autre chose que ce qu’on appelle une guimbarde dans le nord ; mais c’est une habitude chez nous de donner aux choses un nom un peu plus relevé que leur condition. Il mit la guitare dans sa bouche, et, agitant la languette d’acier, il me régala d’une sorte de mélopée nasillarde qui n’ajouta rien aux charmes du voyage.

Nous arrivâmes à la première maison où nous devions faire nos invitations. Les hurlemens des chiens à notre approche me firent comprendre l’utilité du fouet dont s’était muni mon collègue. Il l’employa savamment, comme il convenait à un garçon meunier. Je déchargeai mes deux pistolets, j’entrai dans la maison, et je fis les invitations du ton le plus officiel et le plus cérémonieux. On nous servit à boire, le Muscadin chanta une chanson de circonstance, et nous partîmes bien fêtés. Le Muscadin, excité par cette première libation, reprit sa guitare, qu’il fit résonner avec plus de verve que jamais.

Nous parcourûmes ainsi une douzaine de maisons et autant de kilomètres. Partout nous rencontrâmes la même hospitalité. Les libations n’avaient fait aucune impression sur le Muscadin ; quant à moi, je me sentais le cerveau un peu troublé, mais je faisais bonne contenance, ne voulant pas déshonorer mes rubans blancs. Comme la nuit commençait à tomber, il nous fallut traverser les landes désertes où nous nous égarâmes l’autre jour. En approchant du vieux moulin, mon compagnon me parut en proie à une pénible impression ; son pas se ralentit, il mit sa guitare dans sa poche ; il regardait à droite et à gauche, comme s’il eût cherché un autre chemin. Enfin il s’arrêta, me regarda et me dit d’un ton persuasif : — Nous n’aurions qu’à escalader deux ou trois clôtures qui n’ont pas beaucoup d’épines, le ruisseau n’est pas très profond, l’eau n’est pas bien froide, nous raccourcirions beaucoup le chemin.

— Je comprends votre pensée, lui répondis-je ; de cette façon nous ne passerions pas devant le Moulin-du-Diable ?

Il secoua sa grosse tête.

— Et nous ne risquerions pas de rencontrer le loup blanc et le lièvre noir ?

— Oui, c’est cela, dit-il.

— Ma foi, répondis-je, excité par le piquepoult, l’âne et le lièvre ont de longues oreilles, je veux les leur tirer. Déchirez votre culotte aux épines des clôtures, prenez un bain froid si cela vous plaît ; moi, je poursuis mon chemin.

Et sans attendre sa réponse, je continuai à marcher en ligne droite. Il me laissa marcher environ vingt pas et courut après moi ; il