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dot : il avait d’ailleurs une complice innocente dans la personne de Marthe, qui aimait beaucoup la Capinette. On les voyait toujours ensemble, car la Capinette ne pouvait le plus souvent rester chez son père, qui voyait mauvaise compagnie. Mon oncle eût bien voulu empêcher cette union, mais Noguès était amoureux, il avait la tête faible ; la fille était hardie comme un page, elle et son père voulaient à tout prix ce mariage. Mon oncle craignit un scandale, et se contenta de faire quelques observations. Il ne parut même pas lors du contrat de mariage, que le maquignon sut faire rédiger complètement à son avantage.

Ce fut Capin qui vint me chercher au collège. J’étais fier d’être donzelon, je me sentais à moitié monsieur. J’espérais produire sur les gens de la noce un effet flatteur pour mon amour-propre, et quoique je ne ressentisse aucune sympathie pour Capin, je le suivis joyeusement.

En quittant le collège, nous nous dirigeâmes vers une auberge borgne, où les maquignons de son espèce avaient coutume de descendre. Ils étaient là cinq ou six, tous gens d’assez mauvaise mine, avec de grands fouets et de grandes bottes, fumant, buvant et se querellant. Aussitôt qu’ils aperçurent Capin, ils se pressèrent autour de lui et se mirent à le complimenter bruyamment. Je ne compris pas tout d’abord la cause de ces félicitations, mais elles me semblaient faites sur un ton assez goguenard. Il s’agissait d’une certaine pouliche qui aurait été avantageusement placée, d’un paysan qui aurait été rudement attrapé. Je finis par comprendre que sous ces allégories d’un goût brutal se cachaient des félicitations au sujet du mariage de la Capinette avec Noguès.

Cependant Capin supportait ces plaisanteries avec impatience. Il était extrêmement vaniteux. — Après tout, s’écria-t-il, Noguès ne fait pas un si vilain mariage ; ma fille a douze mille francs !

En entendant ce chiffre, les maquignons se laissèrent aller à une hilarité dont l’explosion faillit menacer la solidité de l’édifice. Jamais gasconnade n’eut un pareil succès.

Capin devint pâle. — Ils sont portés au contrat de mariage ! continua-t-il.

— Les as-tu comptés ? s’écrièrent quelques-uns ; les paieras-tu avec des mèches de fouet ou du crin de cheval ? — Et l’hilarité redoubla.

— Je les compterai en bons louis d’or, quand il le faudra ! répondit-il d’un ton bourru, et il me fit signe de quitter la salle. Nous montâmes à cheval, et je ne pensai plus à cette scène, où, avec un léger effort de mémoire, j’aurais pu trouver plus tard l’explication de bien des mystères.

J’arrivai à Carabussan, je revis Marthe ; elle me parut plus sérieuse,