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le chauffe-vin, toujours en éveil, promenant partout son grand œil placide. Il semblait doué d’une activité et d’une mobilité infatigables. C’était le brûleur. J’appris depuis qu’il y avait trois jours qu’il ne s’était couché. Autour de la fournaise, presque roulés dans les cendres brûlantes, il y avait tout un monde d’enfans et de chiens. Les chiens étaient assez tranquilles, ils donnaient paisiblement, heureux de cette bonne aubaine de chaleur qu’ils ne rencontraient qu’une fois dans l’hiver : il y avait deux ou trois courans à poil ras, un bel épagneul et un gros chien des Pyrénées ; mais si les chiens étaient tranquilles, il n’en était point de même des enfans, et je remarquai quatre ou cinq drôles (style du pays) qui faisaient un tapage épouvantable. Ils avaient tous une charmante figure, filles et garçons, avec leurs yeux qui semblaient être des diamans noirs. Ils faisaient cuire des pommes de terre et des châtaignes, et de là venaient les grandes colères et les grands cris. Autour d’eux se tenaient debout cinq ou six hommes : un berger de la montagne enveloppé dans sa grande cape blanche, un vieillard long, osseux, coiffé d’un bonnet en peau de renard et qui fumait une courte pipe. Éclairé par le reflet sanglant du brasier, cet homme me parut avoir une mine patibulaire. Son voisin formait avec lui un parfait contraste par sa physionomie franche et ouverte. C’était le maître de la maison, qui nous accueillit avec les démonstrations les plus chaleureuses. Il voulait nous faire souper, il nous offrait un lit ; nous n’acceptâmes provisoirement qu’une place à son excellent feu, déclarant que nous aviserions plus tard. On demanda à mon compagnon de voyage comment il se faisait qu’il se fût égaré. Il répondit que nous avions rencontré la Chouric (la chauve-souris) étendue au milieu de la Lande des Sorciers, et qu’il nous avait fallu la ramener chez elle.

— Elle était seule ? s’écria le brûleur.

— Oui.

— Le sabbat était donc fini ? — Le curé secoua la tête. — Vous ne croyez pas aux sorciers, vous, monsieur le curé, continua le brûleur. Vous y croiriez que vous ne nous le diriez pas. Il est pourtant certain qu’il y a un sabbat. Sans cela, pourquoi aurait-on brûlé la grand’mère de la Chouric ? Pourquoi les curés disaient-ils autrefois avant la messe : « Sorciers et sorcières, s’il y en a dans cette église, sortez ? » Qui donc charmerait les gens et les bêtes, s’il n’y avait pas de sorciers ? Quant à moi, je n’ai pas à me plaindre de la Chouric, elle m’a guéri de la fièvre quarte.

— Et comment ? dirent les autres.

— Rien de plus simple : elle m’a mis au cou un morceau de roseau dans lequel était enfermée une cicoulane vivante (lézard gris) ; la cicoulane est morte, et j’ai été guéri.

Personne ne se permit de plaisanter sur cette cure miraculeuse :