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fondre aujourd’hui avec Feargus O’Connor et ses bandes ? Non, ils s’en défendent, et on doit les croire. Dans la chambre, hors de la chambre, ils se séparent ouvertement des radicaux ; mais s’ils ne sont ni radicaux, ni chartistes, ni whigs, ni tories, que sont-ils ? Se réservent-ils d’Être un peu avec tout le monde, un peu contre tout le monde, suivant les cas, les besoins, les inspirations de leur fantaisie ou de leur vanité ? Ce serait une gageure qu’ils ne pourraient pas pousser bien loin. Quelque art qu’ait mis M. Bright à s’emparer de ces riches et laborieuses populations du comté de Lancastre, qu’il alarme ou excite à son gré en leur montrant tantôt la guerre à leurs portes avec la clôture des mers, tantôt la noblesse les insultant du haut de ses bourgs-pourris, il arrivera un jour où, lasses d’être ballottées de la cupidité à l’envie, elles lui demanderont ce qu’il est, où il va, ce qu’il entend faire, où il prétend les conduire. Il faudra s’expliquer alors et trouver autre chose que des terreurs à froid et des déclamations sans consistance.

Comme économiste, M. Richard Cobden n’a rien dit, rien écrit qui ressemble à un corps de doctrines. Il a été conduit à la science par l’observation plutôt que par la réflexion, et par les faits plus que par l’étude. Cette méthode n’est pas la moins sûre : elle peut laisser quelques points dans l’ombre, elle n’égare jamais. De quelques principes bien éprouvés, le chef de la ligue tirait avec discernement toutes les conséquences dont ils étaient susceptibles. On peut le voir à ses discours : rarement il y cite les maîtres de la science, encore moins s’y livre-t-il à des controverses. Il se contente de ce qu’il y a de plus élémentaire, de ce qui est à la portée de tous ses auditeurs, et l’applique vigoureusement à la défense de sa cause. Rien d’obscur d’ailleurs ni de tendu, pas même l’ombre d’une subtilité. Le sujet y eût cependant prêté : il s’agissait de la loi des grains et de la rente du sol ; n’était-ce pas le cas de s’appuyer sur la théorie de Ricardo ? Il ne la mentionne même pas ; il sent qu’elle est un embarras plutôt qu’une force. La notion de la rente, comme on l’appelle, le touchait moins que ses effets, et il aimait mieux combattre la rente dans ses abus que la définir dans ses origines. Quand la doctrine se montre chez lui, elle ne laisse dans l’esprit ni trouble ni confusion ; elle est d’une clarté qui frappe, elle va droit au but. Ce n’est donc pas comme savant qu’il a rendu à l’économie politique des services que l’on ne saurait méconnaître : c’est plutôt comme metteur en œuvre et praticien. Avec une idée simple et juste, obstinément reproduite et sous les formes les plus variées, il a fait, en sept ans, gagner à la science plus de terrain qu’elle n’en avait, par ses seules forces, gagné pendant un demi-siècle. Adam Smith avait répandu la semence, d’autres ensuite l’avaient vue lever ; M. Cobden a eu les honneurs de la moisson.