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Paris fut naturellement sa première étape ; il y trouva un groupe d’amis qui s’y essayaient à l’agitation avec plus d’ardeur que de fruit. On le fêta en famille. Des économistes, des hommes politiques, lui donnèrent un banquet où il eut l’occasion de montrer ce qu’il y a chez lui de rares et solides mérites. Dans un discours d’un français très pur, et auquel l’accent ajoutait une saveur particulière, il résuma les travaux de la ligue, les objections qui lui avaient été faites, et les réponses à ces objections. Les convives restèrent charmés du ton simple et modeste, de la grâce et de l’aisance de l’orateur. À Bordeaux, où il se rendit ensuite, sur cette terre des grands crus, le voyageur ne pouvait éluder un sujet que, par calcul ou par réticence, la réforme anglaise n’avait pas encore compris dans ses affranchissemens. Il s’en tira d’une manière plus spirituelle que concluante. Rendant justice au mérite des vins qu’il avait goûtés, il ajouta qu’il ne connaissait pas de remède plus sûr contre la manie du porto, et que le triomphe du claret, s’il était ajourné, n’en serait pas moins certain. Après un court séjour aux Pyrénées, M. Cobden passa en Espagne. J’ai sous les yeux des notes sur ce voyage, qui fut une succession de banquets, d’adresses et de diplômes. Les sociétés savantes tinrent à honneur de l’avoir pour membre ou pour associé. Il visita Barcelone, Malaga, Valence, Xérès, Séville, recueillant des adhésions et emportant des promesses. À Madrid, le banquet qu’on lui donna était présidé par l’un des vétérans de la science économique, Florès Estrada. Mêmes démonstrations en Italie, où il arriva au printemps de 1847. La doctrine y avait des foyers consacrés par la tradition et entretenus par l’étude ; l’héritage des Verri et des Galiani n’était pas resté vacant. À Turin, à Bologne, à Florence, à Rome, à Naples, on le harangua dans cette langue italienne qui prête si bien à l’emphase. Dans les deux péninsules, M. Cobden laissait plus que des amis, il laissait des écoles florissantes, qu’il avait animées par sa présence et fortifiées par ses conseils.

Au fond pourtant, il y avait là plus de satisfactions personnelles que de conquêtes pour ses idées. En Angleterre, M. Cobden ne se fût pas contenté de l’apparat ; il n’aurait pas cru qu’il suffît de traverser son pays pour le soumettre ; il apportait là dans son entreprise tout ce qu’il fallait y apporter pour obtenir des résultats sérieux : la connaissance de la langue et des hommes, l’étude du terrain, la patience et le temps nécessaires, l’argent aussi, ce nerf de toute guerre. Il faut donc voir dans cette promenade du chef de la ligue à travers le continent moins un effort caractérisé qu’un délassement après de longs travaux. À sa rentrée en Angleterre, il pouvait dire aux voyageurs de profession qu’il avait fait son tour de France, d’Espagne et d’Italie, avec des honneurs et un cortège qu’aucun d’eux, si opu-