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en chœur. Quand l’horloge eut sonné les douze coups, le président commanda le silence : « Le bon temps est venu, » dit-il. D’interminables applaudissemens accueillirent ces mots ; on entrait dans la période d’affranchissement du commerce des grains.


III.


Voici plus de onze ans que ce régime est en vigueur : quelles en ont été les conséquences ? Elles ont dépassé ce que ses plus fervens défenseurs s’étaient promis et ce qu’ils avaient annoncé au public avec une assurance qui semblait téméraire. La liberté, mise à l’essai, a étonné jusqu’à ceux qui doutaient le moins d’elle. Ils avaient prédit que, sous son empire, il n’y aurait de dommage pour personne, et que sur tous elle étendrait ses bienfaits, que les fermiers et les propriétaires, qui voyaient leur ruine imminente, ne seraient pas les derniers à en profiter, que l’industrie s’y retremperait, que le commerce et la navigation y prendraient un incalculable essor, que, par l’effet d’une activité plus grande et d’un emploi plus soutenu des bras, on verrait les salaires s’élever, le nombre des pauvres s’amoindrir, les crimes décroître, l’instruction se répandre, la mortalité diminuer, l’émigration se réduire, enfin le revenu public grandir en prenant une meilleure assiette. Toutes ces conjectures se sont trouvées justes : le temps n’en a démenti aucune, les faits sont même allés au-delà. Et qu’on ne dise pas que ce sont là des présomptions, des assertions sans preuves, des exagérations de langage ! Un document distribué en 1859 à la chambre des communes permet d’établir au vrai la situation. Ce document comprend en détail le mouvement de la richesse en Angleterre de 1844 à 1858 inclusivement, dans tous ses modes, dans toutes ses branches. C’est l’inventaire du régime de la protection mis en regard de celui d’un régime de liberté graduelle. Le rapprochement est significatif : il est à sa place dans une étude où l’on cherche non-seulement à raconter la vie d’un homme, mais à préciser la valeur d’un système.

Il faut s’en tenir aux chiffres les plus saillans. Pour le revenu public, la progression se mesure sur les besoins ; on ne demande à l’impôt que les ressources nécessaires aux dépenses de l’état. En 1844, le revenu est de 54,003,753 livres sterling, il s’élève à 61,812,555 livres en 1858. Pendant ce temps, les charges annuelles de la dette ne se sont point accrues. Le capital, il est vrai, s’est élevé de 787, 598, 145 livres à 804,445,483 livres : les guerres de Crimée, de l’Inde et de la Chine expliquent cet accroissement de 16,847,338 livres (421 millions environ), tandis que nous empruntions plus de 2 milliards pour une destination analogue ; mais, d’un