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prenaient leur revanche. M. Cobden votait avec ces derniers, mais il ne voulut pas que le motif de ce vote fût dénaturé. Il répondit à lord Bentinck : « Le noble lord nous a dit avec franchise que le but de la majorité qui va se former était de faire justice du très honorable baronet pour sa politique durant cette session. Il a dit, si je ne me trompe, que tout honnête homme devait vouloir punir le traître, quoique la trahison pût plaire à quelques-uns… Je répudie pour moi et pour beaucoup d’autres honorables membres cette fausse et injuste interprétation de notre vote. Nous agirions en contradiction choquante avec l’opinion populaire, si nous acceptions une telle apparence vis-à-vis de l’honorable baronet… Il montre une grande modération en ne se prévalant pas de la force qu’il possède au dehors pour prendre au mot ses adversaires et en appeler au jugement du pays. S’il ne le fait pas, je suis certain que j’exprime le sentiment du peuple en offrant à l’honorable baronet mes remerciemens profonds pour l’infatigable persévérance, l’inébranlable fermeté et l’habileté incomparable avec lesquelles, pendant ces six derniers mois, il a conduit à travers cette chambre une des plus magnifiques réformes qui aient jamais été accomplies chez aucune nation.»

Tombé noblement du pouvoir, sir Robert Peel resta sensible à ce langage et saisit la première occasion pour le témoigner. Trois jours après, il résignait ses fonctions et prononçait devant la chambre émue et captivée son discours d’adieux. Après avoir rappelé ses actes avec simplicité, exposé quelles en étaient les intentions et les conséquences, il ajouta : « J’ai dit naguère et sincèrement qu’en proposant mes mesures de liberté commerciale, je ne voulais nullement enlever à d’autres le mérite qui leur en revient ; je dirai pour les honorables membres qui siègent en face de moi, comme je le dis pour moi-même et pour mes amis, que ce n’est ni à moi-même, ni à eux, ni à nous, qu’appartient l’honneur de cette œuvre. Des partis en général opposés se sont unis : cette union et l’influence du gouvernement ont amené le succès de nos mesures ; mais le nom qui doit être placé en tête de ce succès ne doit être ni celui du noble lord qui dirige le parti dont nous avons eu le concours, ni le mien ; c’est le nom d’un homme qui, par des motifs purs, je crois, et avec une incessante énergie, a fait appel à notre raison à tous et nous a forcés de l’écouter par une éloquence d’autant plus admirable qu’elle était sans prétention et sans ornement : c’est le nom de Richard Cobden ! »

La loi une fois votée, qu’allait faire la ligue ? En d’autres pays, on n’eût pas renoncé de plein gré à un levier semblable ; on en eût varié et forcé l’emploi. Ses chefs ne commirent pas cette faute ; ils