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geaint au parlement crurent qu’il était de bon goût de s’effacer. La question était bien celle qu’ils avaient conduite à maturité, mais elle s’agitait au-dessus de leurs têtes et à leur profit. M. Bright et M. Cobden parlèrent néanmoins et avec un certain à-propos, le premier pour rendre hommage au chef du cabinet, le second pour combattre une manœuvre et vider un fait personnel. Sir Robert Peel venait de prononcer un des plus beaux discours qu’eût entendus la tribune anglaise. Après avoir rappelé les avantages de position et les motifs de supériorité qui plaçaient sa nation en avant des autres, il se demandait si ce n’était pas le cas de faire acte de libéralité et de se soumettre aux chances de la concurrence. On pouvait échouer ou réussir à demi ; l’honneur n’en restait pas moins grand. Aucun spectacle n’était plus digne de respect. Si d’autres misères survenaient, on aurait du moins la conscience d’avoir tout fait pour les conjurer. « Est-ce que vous ne direz pas alors avec une joie profonde, ajoutait-il en terminant, qu’aujourd’hui, à cette heure de prospérité comparative, sans céder à aucune clameur, à aucune crainte, si ce n’est à cette crainte prévoyante qui est la mère de la sûreté, vous avez prévenu les mauvais jours, et que, longtemps avant leur venue, vous avez écarté tout obstacle à la libre circulation des dons du Créateur ? » Ce fut à cette péroraison, admirée de tous, que M. Bright crut devoir rendre publiquement justice. « L’honorable baronet, dit-il, a prononcé hier un discours d’une éloquence qui jamais dans cette chambre n’a été surpassée ; je l’ai observé à sa sortie, et pour la première fois je lui ai envié ses sentimens. C’est vous, messieurs, — et il s’adressait aux conservateurs, — qui l’avez porté au pouvoir. Pourquoi ? Parce qu’il était le plus capable de votre parti. Vous le disiez tous, vous ne le nierez pas aujourd’hui. Et pourquoi était-il le plus capable ? Parce qu’il avait une plus grande expérience, des connaissances profondes et une honnête sollicitude pour le bien du pays… C’est quelque chose que d’avoir à répondre du pouvoir. Portez vos regards sur les populations du Lancashire et du Yorkshire, et malgré toute votre vaillance, quoique vous parliez sans cesse de lever le drapeau de la protection, demandez-vous à vous-mêmes s’il y a dans vos rangs des hommes qui veuillent aller occuper ce banc où siège l’honorable baronet à la condition de maintenir la loi sur les grains. Je les en défie ! » L’éloge était heureux, le défi habile ; le double trait porta. M. Cobden ne montra pas moins de tact. Des conservateurs s’étaient retranchés dans une sorte d’appel au peuple ; ils demandaient des élections nouvelles pour consulter l’opinion : pure tactique, afin de gagner du temps. Le chef de la ligue la démasqua. « Vous voulez, dit-il, une dissolution, vous parlez de vous adresser au pays : est-ce bien sérieusement ? Des idées aussi démocratiques ne vous sont pas