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une arme familière, et dans ses véhémentes apostrophes ne ménageait ni les noms propres, ni les rangs, ni les positions. Sa conscience de quaker ne comportait aucun des tempéramens qui sont le cachet d’une éloquence de bon goût ; il était sincère jusqu’à la brutalité, passionné jusqu’à l’emportement. Parlait-il des lords, le défi était sur ses lèvres ; il s’étonnait qu’après avoir fait justice d’un roi, l’Angleterre se fût livrée à quelques centaines de despotes. « Vous avez abattu le lion ! s’écriait-il. Est-ce donc pour vous incliner devant le loup ? » M. Fox, avec une verve égale, mettait au service de ses idées une imagination pleine d’originalité. Petit et replet, avec des cheveux noirs flottans sur les épaules, il avait les apparences de la bonhomie ; mais aux premiers mots le jouteur se montrait. Si vaste que fût une enceinte, sa voix la remplissait ; on ne perdait pas une syllabe, et l’art du débit aidait au succès de la phrase. Son tour habituel était le sarcasme ; il raillait les lords, que M. Bright venait de foudroyer, ou bien il multipliait les images sur le sort du pauvre avec plus de profusion que de choix. Tout cela était fort mêlé, des juges délicats auraient trouvé beaucoup à y reprendre ; la foule n’y regardait pas de si près et acceptait tout au même titre. Tels étaient les deux assesseurs de M. Cobden, et celui-ci ajoutait à ces saillies et à ces sorties la solidité et l’abondance de ses informations.

Les séances du théâtre de Drury-Lane, continuées plus tard sur celui de Covent-Garden, furent des plus brillantes. La grande société de Londres ne dédaignait pas d’y paraître, les dames y accouraient. Le débit étudié de M. Fox, l’énergique accent de M. Bright, le ton calme et convaincu de M. Cobden, la dignité avec laquelle M. Wilson tenait le fauteuil, laissaient l’auditoire sous le coup des impressions les plus favorables. Des membres du parlement occupaient l’estrade ; MM. Villiers, Ricardo, Milner Gibson, Thompson, Napier, Elphinstone, Holland, s’y montraient fort assidus ; plusieurs d’entre eux prirent la parole : lord Kinnaird eut les honneurs d’une séance. L’effort, si obstiné qu’il fût, n’allait pas cependant au-delà de la tâche. Une ville comme Londres n’est pas facile à ébranler. Elle contient un tel mélange de classes et d’intérêts, offre un si grand contraste de positions et une somme si considérable d’influences, qu’il faut s’y reprendre plus d’une fois pour vaincre ses préventions et triompher de ses dédains. Les conservateurs, de leur côté, veillaient sur l’opinion et se gardaient contre les surprises. Maîtres du parlement, ils voulaient rester maîtres au dehors ; les petits combats ne les trouvaient pas plus en défaut que les grands. Leurs armes étaient surtout la raillerie : ils appelaient la ligue une émeute de pommes de terre, et ses chefs les lords du coton ; ils ne tarissaient pas en épigrammes qui allaient de salon en salon et descendaient de là dans