Les conservateurs triomphaient ; ils croyaient avoir frappé à mort la ligue dans son chef reconnu. Les événemens ne tardèrent pas à les détromper. Maltraité dans le sein de la chambre, M. Cobden eut au dehors d’éclatantes revanches. Une portion de la presse prit son parti. Il eut à Londres les honneurs d’une réhabilitation publique, à Manchester le dédommagement d’une protestation imposante. La ligue y avait, de ses deniers, bâti à son usage un édifice de cent trente-cinq pieds de long sur cent trois de large, récemment inauguré en présence des délégués de trente-neuf villes et de deux cents ministres de la religion. Ce fut dans cette salle que huit mille personnes se rassemblèrent ; une adresse à M. Cobden fut votée au milieu d’applaudissemens qui en ébranlèrent les voûtes ; on y rappelait son dévouement, son honnêteté, ses mœurs douces, ses sentimens chrétiens, puis on l’engageait à poursuivre fermement sa marche en dépit des outrages et des calomnies. En huit jours, cette adresse se couvrit de cinquante mille signatures, et il lui en parvint de semblables des comtés environnans. Au lieu de ruiner son crédit, on l’avait accru ; au lieu d’abattre la ligue, on l’avait retrempée par la persécution. Ce fut alors qu’on songea sérieusement à déplacer le siège de son principal effort. Tant que l’agitation avait gardé un caractère local, Manchester suffisait ; tout partait de là, tout venait y aboutir. Dans les débuts, c’était une force ; c’eût été une faiblesse, si l’on eût persisté : sans de nouveaux alimens, ce foyer circonscrit se fût éteint de lui-même. Il fallait, pour réussir, que l’agitation devînt générale, et que de la province elle passât à la métropole. Ce que Manchester avait commencé, Londres devait l’achever. Jusqu’alors on n’y avait connu la ligue que par quelques conférences de délégués tenues dans des hôtels et presque à huis clos ; aucun succès n’était possible à ces conditions, la scène était trop vaste pour des moyens si petits. Il était temps d’appliquer à une tâche sérieuse un levier plus puissant.
La première recherche était celle d’un local qui pût réunir un nombreux auditoire. À défaut de la salle d’Exeter, qui fut refusée, on traita avec le directeur du théâtre de Drury-Lane, fermé pendant le carême ; on le loua pour une nuit par semaine. La première séance eut lieu le 15 mars 1843. Devant une salle pleine jusqu’aux combles, M. Cobden parut sur l’estrade : il avait été le premier à la peine, il était juste qu’il fût le premier à l’honneur ; mais à ses côtés figuraient deux hommes qui allaient partager le poids des nouvelles campagnes et y déployer des ressources brillantes et variées : l’un était M. Bright, que la ville de Durham envoyait, peu de mois après, au parlement avec un nom et des succès déjà populaires ; l’autre était M. W.-J. Fox, qui y arriva plus tard pour l’un des sièges dont la ligue disposait. Par leur diversité même, ces trois talens s’appuyaient et se complétaient. M. Bright maniait l’indignation comme