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gissait plus que de donner à cet argent un bon emploi. On créa un organe sous le titre de Circulaire contre la loi des grains, titre qui, deux fois modifié, devint la Circulaire contre la taxe du pain, et ensuite plus simplement la Ligue. Dès l’origine, on en plaça quinze mille exemplaires et trente mille quand la vogue fut établie. Des almanachs, des pamphlets à la main sortirent par millions d’une imprimerie qui appartenait à l’association. En même temps les réunions se multipliaient ; des orateurs, les uns rétribués, les autres à titre gratuit, visitaient les villes, les bourgs, et jusqu’aux villages ; dans la seule campagne de 1840, on compta sept cents séances tenues dans cinquante-six comtés. Des tribuns illustres ne dédaignaient pas d’y paraître, et Daniel O’Connell assista à un banquet à côté de MM. Bright et Milner Gibson. Son discours ne fut qu’une longue boutade. « La loi des grains ! s’écria-t-il avec ses airs de mépris. À quoi est-elle bonne ? À mettre de l’argent dans la poche des lords, non pas l’argent des Russes, des Danois, des Suédois, mais l’argent des compatriotes. » Le mouvement se propageait ainsi dans le public sans que le monde officiel en parût ébranlé. La motion annuelle de M. Villiers perdait du terrain au lieu d’en gagner, et, mis en demeure de s’expliquer, lord Melbourne et M. Baring se renfermaient dans des réponses évasives. Ce n’est pas que le ministère et le parlement fussent insensibles à la détresse des districts manufacturiers ; ils résistaient seulement au moyen qui leur était proposé. Pour le parlement, c’était une question de principe ; pour le cabinet, une question d’existence. L’agitation, si elle voulait pénétrer jusque-là, avait encore bien du chemin et des efforts à faire.

De deux côtés, il lui arriva des auxiliaires. Quelques membres de la ligue avaient songé au clergé ; un appel fut adressé aux ministres de tous les cultes. Ceux de l’église établie le laissèrent sans réponse ; trois exceptions seulement, — une dans l’église d’Angleterre, deux dans l’église d’Écosse, — servirent à mieux marquer cette hostilité de corps. L’intérêt n’y était pas étranger ; la dîme au profit du clergé se prélevait sur le prix des denrées, et une baisse l’eût frappé dans ses revenus. En revanche, les cultes dissidens s’empressèrent d’accueillir l’ouverture qui leur était faite. Une réunion spéciale avait été indiquée pour le courant du mois d’août 1840. Sept cents ministres de la religion se rendirent à Manchester pour y assister. Les membres de la ligue se partagèrent l’honneur de leur offrir l’hospitalité ; pendant une semaine que dura la conférence, ces pasteurs vécurent au sein des familles. Deux fois par jour, ils s’assemblaient à l’hôtel de ville, la séance du matin durait quatre heures, celle du soir cinq ; sur quinze cents discours prononcés, six à peine furent en opposition formelle avec la réforme. Le sujet était surtout traité dans ses rap-