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on faisait un tel honneur. L’honnête Pat Murphy était ivre ; couvert de haillons et chaussé de sabots, il essayait de se frayer un passage vers le fauteuil malgré les résistances du bureau. Ses amis lui prêtèrent main-forte, et parvinrent à l’installer sur un siège devant le président. À peine assis, il entra en fonctions. « Trois salves en faveur de la convention nationale ! » dit-il. Les trois salves furent données. « Trois grognemens pour l’association contre la loi des céréales ! » Les trois grognemens furent poussés. « Levez vos chaises pour Pat Murphy ! » À l’instant, les chaises furent levées, et au lieu de les remettre à terre on les jeta à la tête des hommes qui protestaient. Une mêlée affreuse s’ensuivit, dans laquelle plusieurs personnes furent blessées. Devant de telles violences, il n’y avait qu’à battre en retraite. Le président donna l’exemple, et la partie honnête de l’assemblée le suivit ; on laissa le champ libre aux énergumènes, qui complétèrent les jouissances de la soirée en brisant les quinquets sous la direction de l’honnête Pat Murphy.

De ce jour, on n’entra plus aux réunions de la ligue qu’avec des billets, et en appuyant cette mesure d’ordre, M. Cobden ajouta : « Loin de moi la pensée d’exclure les avocats de la loi des grains, s’ils consentent à une discussion paisible ! Mais, au nom des classes laborieuses de Manchester, je proteste contre ces hommes qui à la raison substituent la force et sont venus ici hier commettre d’odieux attentats contre les propriétés et les personnes. Ouvriers, prenez-y garde, ces amis du bien d’autrui ne vous respecteront pas plus qu’ils n’ont respecté ce qui appartient à notre association ; ils s’attaqueront à vos épargnes comme ils se sont attaqués à ce que nous avions payé de nos deniers ; ils jetteront des yeux de convoitise sur les fonds de vos sociétés particulières, secours mutuels, assistances en cas de maladie, unions, assurances, tontines ; ils mettront la main sur tout cela, si vous ne les arrêtez à temps. » L’auditoire, où beaucoup d’hommes du peuple avaient été admis, accueillit ces paroles avec des applaudissemens. M. Cobden continua en rappelant que la cause de la ligue était surtout la cause du pauvre, pour qui le premier des besoins était l’aliment à bon marché. « Nous avons adopté un principe, dit-il en terminant, celui d’une franchise absolue de droits ; nous n’en dévierons pas. Maintenant nous faisons un appel à tous les hommes honnêtes de cette cité, sans distinction de classes ni de fortunes ; ils savent ce qui est écrit sur notre bannière ; qu’ils nous abandonnent, si nous ne restons pas fidèles à nos engagemens ! »

La ligue se trouva bientôt fortement constituée ; elle put mettre ses finances sur le meilleur pied. Un second appel de 50,000 livres sterling (1,250,000 francs) avait, comme le premier, réussi au-delà de toutes les espérances. Les caisses étaient pleines ; il ne s’a-