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l’égalité de traitement et la liberté pour tous. Cette justesse et cette promptitude de coup d’œil allaient le porter en avant dans des démonstrations plus décisives.

Réduite à Manchester et aux environs, l’agitation gardait un caractère local dont il importait de la dépouiller. Les adhésions arrivaient en foule, des pétitions se couvraient de signatures : Glasgow en avait réuni quatre-vingt mille, Leeds quinze mille ; les autres villes manufacturières promettaient des chiffres équivalens : c’était par millions qu’avant peu on compterait les partisans de la réforme. S’appuyant de ces faits, M. Cobden proposa et fit adopter une motion qui désignait Londres comme lieu de rendez-vous à ces associations éparses, les invitant à choisir des délégués qui s’y réuniraient le 4 février 1839, à midi, à l’hôtel Brown. Au jour et à l’heure fixés, trente-un délégués s’y rencontraient. Manchester, Bolton, Liverpool, Glasgow, Leeds, Stockport, Kensal, Huddersfield, Preston, Birmingham et Londres y étaient représentés. L’hôtel Brown avait été choisi comme étant situé en face de la chambre des communes. M. Villiers, l’intrépide auteur d’une motion toujours écartée, assistait à la réunion, et se chargea de présenter à la chambre les délégués des villes manufacturières. Le parlement s’ouvrit, et ni le discours de la couronne ni l’adresse qui y répondait ne firent mention de la législation des céréales. Les délégués ne se découragèrent pas. Présens à toutes les séances du parlement, ils l’accablaient de pétitions formidables par le nombre. Comme il l’avait promis, M. Villiers demanda qu’ils fussent admis à la barre. La chambre semblait décidée à ne répondre que par le dédain ; les whigs, alors au pouvoir, ne déguisaient ni leur impatience ni leur mauvaise volonté. Sur les instances de M. Villiers, il fallut pourtant s’expliquer, et lord John Russell se retrancha dans un refus formel. Une enquête était demandée ; on alla aux voix : 172 voix admirent l’enquête, 361 voix la repoussèrent. C’était une partie perdue ou ajournée du moins. Avant de quitter Londres, les délégués tinrent une dernière séance. Beaucoup de membres du parlement y assistaient avec les rédacteurs des journaux influens et les hommes qui s’étaient signalés par leur dévouement à la cause de la liberté du commerce. Devant cette réunion, M. Cobden prononça un de ses discours les plus heureux. C’est là que, rappelant la destinée des villes hanséatiques, il les cita comme un exemple à suivre. « Eh bien ! s’écria un des assistans, si nous formions une ligue ? — Oui, reprit M. Cobden, formons une ligue, une ligue contre la loi des grains. » Le mot eut du succès, et devint pour l’association comme un second baptême. Elle devint la ligue ; elle eut, pour répéter les expressions de M. Guizot, un chef populaire et un nom éclatant.

Le résultat de cette épreuve fut de ramener l’agitation dans son