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grains et autres denrées alimentaires, et de faire aboutir à leur plein développement, tant pour l’agriculture que pour la manufacture, les vrais et pacifiques principes du libre échange. » Cette adresse n’essuya pas d’objection sérieuse. Appuyée par l’une des notabilités de la fabrique, M. Greg, elle fut adoptée à la presque unanimité des membres de la chambre.

Cet incident marque pour les grands industriels de Manchester le passage de l’expectative à l’action. Du côté de la population ouvrière, le mouvement n’avait rien d’indécis ; il gagnait de proche en proche. La grande industrie, le grand commerce hésitaient encore : ils craignaient les aventures ; ils ne s’engagèrent résolument et définitivement qu’à l’appel de leurs représentans officiels. Dès ce moment, l’association provisoire s’effaça devant une plus grande, où les moyens d’action étaient mieux en rapport avec les difficultés de la tâche et les ressources des adhérens. Aux souscriptions de 5 shillings succédèrent des souscriptions autrement significatives. « Donnons un peu de ce que nous avons, s’écria gaiement M. Cobden, afin de sauver le reste ! » Il s’inscrivit pour 100 livres sterling ; d’autres s’engagèrent pour la même somme ; d’autres enfin pour 50, 30, 25, 10 et 5 livres. On réunit en moins de quatre semaines 6,136 livres (environ 155,000 francs). Si ce n’étaient pas encore les magnifiques collectes qui signalèrent la dernière période, c’était déjà un chiffre respectable et très suffisant pour un début. Un grand conseil fut élu en séance générale ; il comptait cent sept membres et se subdivisait en comités chargés d’attributions spéciales. M. Cobden figurait dans les deux comités principaux, le comité exécutif et le comité des finances. M. J. B. Smith était président, et M. John Ballantyne secrétaire de l’association. Réorganisée sous cette forme le 28 janvier 1839, l’association devenait un instrument dont la trempe paraissait solide ; il restait à voir quel parti en tireraient les mains entre lesquelles il était tombé.

Une force collective a besoin d’un homme qui la règle et la dirige. Dans l’agitation naissante, M. Cobden est cet homme : on l’y voit dès la première heure et au premier rang. les orateurs brillans, les noms accrédités viendront plus tard : ils vont toujours du côté de la vogue ; mais M. Cobden avait eu incontestablement les honneurs de ce travail d’organisation sans lequel une entreprise n’est point viable. À l’encontre des opinions qui admettaient un droit fixe en place du droit mobile, il avait soutenu et fait prévaloir la franchise absolue et la suppression de tout droit ; il avait, déjouant des vœux secrets, amené la manufacture à se désister de ses privilèges pour qu’elle fut mieux fondée à combattre ceux de l’agriculture. Il avait préparé le terrain au nom d’un principe élémentaire,