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travail et la probité. En même temps il achevait son éducation par de fréquens voyages, visitait la France, la Belgique et la Suisse, où rien n’était indifférent à un esprit curieux comme le sien. Longtemps il se renferma dans cette préparation silencieuse. Manchester voyait pourtant se succéder des agitations qui avaient leurs programmes et leurs héros. Dès 1832, le célèbre Cobbett y avait fait un appel aux radicaux, et couru les chances d’une candidature au parlement. Fils de cultivateur comme M. Cobden, animé de colères que l’âge n’avait pas refroidies, il se présentait avec des titres qui ne prêtaient point à l’équivoque et des écrits où sa haine pour l’aristocratie était allée jusqu’à l’outrage. Il avait pour cliens les cent mille abonnés d’une feuille populaire, la plus redoutable que le gouvernement eût jamais rencontrée. Plus tard, ce fut le tour de Feargus O’Connor, qui ralliait les ouvriers sous les drapeaux d’une charte, monument de vertige, d’où se dégageaient à chaque article la désobéissance aux lois et l’indiscipline envers les maîtres. M. Cobden était trop avisé pour donner dans de pareils égaremens ; il laissa passer avec une égale indifférence les chartistes et les radicaux. Ceux-ci étaient finis, ceux-là odieux ; tous devaient s’éteindre dans l’impuissance. Peut-être avait-il, comme les radicaux, ses griefs particuliers contre l’aristocratie, et pensait-il, avec les chartistes, que le sort des ouvriers pouvait être amélioré ; mais il ne séparait pas les réformes des moyens réguliers de les obtenir. Son caractère répugnait aux violences. Sans avoir la conscience de ce qu’il serait possible et utile de faire, il jugeait nettement ce qui devait avorter.

Pour la première fois, en 1835, M. Cobden se mêla ouvertement de questions politiques. M. Archibald Prentice raconte[1] qu’en sa qualité de directeur du Manchester Times, il reçut, dans le printemps de cette année, des communications intéressantes, qu’il livra à la publicité. L’écrivain ne s’était pas fait connaître, et malgré le succès de ces articles son nom restait une énigme, lorsqu’un petit volume, intitulé l’Angleterre, l’Irlande et l’Amérique, fut déposé dans les bureaux du journal avec la suscription accoutumée : « De la part de l’auteur. » Sur-le-champ M. Prentice reconnut la plume de son écrivain anonyme. C’était M. Richard Cobden, qui avait cherché dans ces ébauches un délassement aux soins de la fabrique. Son écrit était une réponse à un pamphlet que venait de publier M. Urquhart, et qui avait toutes les allures d’un défi jeté à la Russie. M. Cobden, qui a pour la paix un goût très prononcé, s’efforçait de calmer les ardeurs du partisan de la guerre, et, avec un mélange de raison et d’ironie, frappait les partis politiques et les préjugés nationaux par-dessus la tête de son antagoniste. Il disait que la

  1. History of the anti-corn-law League, 2 vol.