Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans son premier âge que le travail des champs, et le plus humble de tous : il gardait les moutons. On a fait à ce sujet un rapprochement curieux : près de la maison de son père était le château de Godwood, résidence du duc de Richmond, qui devait se montrer plus tard l’un des ardens défenseurs du privilège territorial. Qui eût dit alors au seigneur de cette résidence qu’entre lui et ce pauvre pâtre s’engagerait un jour, aux yeux du pays attentif, un duel où il n’aurait pas le beau rôle et qui se terminerait par un éclatant échec ? Qui lui eût fait supposer que dans la tête de cet enfant naîtrait la pensée téméraire de s’attaquer à ce que les traditions avaient consacré, au droit de prélever, par des artifices de législation, une dîme sur les besoins de la communauté, et de tirer des produits du sol un prix supérieur à celui qui résulte d’un marché librement ouvert et d’une loyale concurrence ?

Il est à croire que l’éducation du jeune Richard se ressentit, dans la période des débuts, de cette condition précaire et de cet assujettissement forcé. Il fallut s’en tenir aux premiers élémens, à ce qui se trouvait à portée dans la limite des heures disponibles et des ressources des parens. Plus tard, quand M. Cobden s’appartint, l’œuvre fut à refaire, et il ne s’y épargna pas. À ses autres mérites il joint celui de s’être formé lui-même. Dès l’adolescence, on put remarquer chez lui les signes auxquels se reconnaissent les vocations décidées : un esprit vigoureux, un caractère fortement trempé, un besoin d’activité qui des petites choses s’étendait aux grandes, une ambition contenue, et où l’ardeur n’excluait pas le calcul. Il avait en outre ce don bien rare de se séparer des idées convenues et de les soumettre au contrôle de ses propres réflexions, puis, sa conviction une fois arrêtée, la force d’y persister, quels que fussent les obstacles, et de garder néanmoins les limites au-delà desquelles il eût rencontré l’isolement. Sous ce rapport, ses débuts furent une sorte de préservatif. Avec des études plus spéculatives, il eut dévié vers l’utopie et partagé le sort des esprits qui oublient les faits dans l’enivrement des principes. M. Cobden dut à son étoile d’être placé sur un terrain plus consistant ; il s’inspira du bruit des ateliers plus que du silence du cabinet, il vit les industries à l’œuvre, et put toujours invoquer l’expérience à l’appui de la démonstration. C’est ainsi que son succès s’explique. Dans les réunions où plus tard il eut à développer ses projets de réforme, jamais son tact ne le trahit. S’il atteignit l’éloquence, ce fut par un art naturel, et en restant dans des sujets familiers. Entre lui et son auditoire existait une communauté de sentimens, de notions, d’origine, à laquelle il conformait son langage. Enfant du peuple, il touchait la fibre populaire par des sorties tantôt véhémentes, tantôt ironiques, contre les abus du privilège seigneurial ; homme du métier, il entrait dans des dé-