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vitant à résister au goût des aventures, familier aux classes dominantes et aux gouvernemens. Que par suite les traditions en dussent recevoir un échec, que l’on fit moins de sacrifices à la fausse grandeur, aux surprises et aux calculs des partis, aux entraînemens de la domination, peu leur importait ; ils n’admettaient pas que cette politique fût la plus sûre, ni la meilleure, ils en pressentaient une autre où la dignité serait maintenue à moins de frais et l’ascendant au prix de moins de violences. Ils se disaient qu’à s’imposer toujours et partout, un état, si puissant qu’il soit, prend une charge au-dessus de ses forces, qu’il se blesse en blessant autrui, et ne réussit qu’en semant des rancunes. Même bien remplie, la tâche est constamment à reprendre, et tôt ou tard elle écrase ceux qui s’y sont volontairement condamnés.

Je n’ai pas à juger encore ce procès ; je l’expose seulement et mets les parties en présence : ce que j’en veux faire ressortir, c’est le rôle qu’y jouent les hommes de l’école de Manchester. On semble d’accord pour leur attribuer, dans une certaine mesure, la trêve des esprits, l’échec porté à l’humeur guerroyante, la désuétude des traditions et la tiédeur qui succède à d’anciens emportemens. Dans ce sens, l’histoire de cette école n’est pas celle d’un homme ni de plusieurs hommes, elle devient commune à la grande famille à laquelle ils appartiennent. Derrière les individus, la nation se montre, et l’intérêt s’élève en même temps que le cadre s’élargit. C’est ainsi que se présente l’une des physionomies les plus caractérisées de ce mouvement, celle de M. Richard Cobden. Il en est incontestablement le chef, il en a été l’âme. Les détails de sa vie pourraient se résumer en quelques pages, mais ils se lient à un effort et à des résultats dont l’Angleterre est encore remuée, et qui affectent sa politique autant que ses intérêts ; à ce titre, quelques développemens sont nécessaires.


I.


Dans un pays libre et avec une race douée d’une fierté naturelle, comment une aristocratie a-t-elle pu jusqu’ici se maintenir ? Ses services, si éclatans qu’ils soient, n’expliquent pas seuls sa durée ; d’autres ont péri qui avaient le même droit de vivre. Par quels mérites celle-ci s’est-elle préservée ? On en a cité deux : le respect et la défense des institutions, une grande habileté de conduite. Il est constant que l’aristocratie anglaise n’a manqué ni à l’un ni à l’autre de ces devoirs ; elle n’a ni empiété ni résisté mal à propos. Elle a su toujours abandonner à temps les positions qu’elle ne pouvait défendre, et a mis dans ce mouvement de retraite une certaine dignité et beaucoup de bonne grâce. Après avoir lutté contre les réformes,