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ses résolutions, plus déterminée à les faire prévaloir. Ainsi ont parlé des juges sévères.

D’où viennent donc ces accès d’indifférence de l’Angleterre après tant d’accès de vive susceptibilité ? D’où vient surtout que le pays s’y associe par une longanimité qui peut passer pour de la connivence ? S’il y a faute, où sont les coupables ? On a désigné les hommes de l’école de Manchester ; on a accusé leurs écrits, leurs actes, même leurs succès. En excitant outre mesure le sentiment de l’intérêt, ils auraient porté, assure-t-on, un préjudice irréparable aux sentimens d’un ordre supérieur ; ils auraient énervé et perverti les âmes. Cette langueur dans l’opinion, cette hésitation dans les desseins, c’est à leur influence qu’il faudrait les attribuer. Ils ont voulu soumettre au calcul des questions qu’on doit dégager de cet élément, sous peine de les voir se dénaturer et se réduire. Les comptes d’un grand état ne se règlent pas comme un inventaire de fabrique, où chaque objet ne vaut qu’en raison de ce qu’il coûte et de ce qu’il rend. Sans négliger sa richesse, un grand état est tenu de songer aussi à son honneur. Il a des devoirs de position, un nom à défendre, un rôle à jouer, une destination historique, des intérêts même dans le sens élevé du mot, tout ce qui fait le titre et la force d’une communauté, tout ce qui la classe, la distingue et lui assure le respect. La moindre défaillance dans cette mission est un commencement de déclin. Une nation qui s’efface prononce sa propre sentence, les pertes qu’elle a voulu éviter lui arrivent sous d’autres formes ; elle souffre dans ce qu’elle a cru le mieux garantir : la sécurité, qui est la compagne de la puissance, lui échappe insensiblement ; elle n’a plus au dehors la même importance et n’y montre plus le même orgueil ; le prestige est détruit, elle se sent diminuée.

Telle est l’accusation ; mais les hommes de l’école de Manchester ne sont point à court d’argumens. Quand ils se liguèrent il y a vingt ans contre la loi des céréales, ils savaient bien que le succès de leur réforme affecterait d’une manière profonde la politique de leur pays. Cette crise est arrivée, et ils persistent à la croire salutaire. Le sentiment de l’intérêt, dont ils s’appuyaient, n’est pas aussi vulgaire qu’on le dépeint et vise plus haut qu’on n’affecte de le dire, il n’est que l’instrument d’une pensée chrétienne et morale. Dans le développement des échanges, ils voyaient en première ligne l’union plus intime des peuples. Des rapports fréquens devaient amener entre eux de meilleurs procédés ; plus ils se connaîtraient, moins ils seraient enclins à s’aigrir et à rompre. Pour cette œuvre de conciliation, ni les classes dominantes, ni les gouvernemens, n’ont l’esprit qui convient : on s’y fait un jeu du repos et des intérêts de la communauté ; c’était donc à la communauté qu’ils s’adressaient en l’in-