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l’homme qui allait mourir jeune encore. Ortega avait des amitiés nombreuses et même élevées qui ont intercédé pour lui. On s’est ému surtout des efforts de ce jeune officier, un fils du condamné, qui est accouru d’Afrique pour adresser à la reine de déchirantes supplications, offrant la croix de Saint-Ferdinand et le grade de lieutenant qu’il venait de gagner sur le champ de bataille en échange de la vie de son père et disant : « Que l’Ortega d’Afrique rachète l’Ortega des Iles Baléares ! » La politique a fait prévaloir les inexorables conseils. On aurait pu faire grâce sans nul doute, d’autant plus que, dans un pays où les insurrections militaires ne sont pas rares, les exécutions n’ont jamais découragé personne, et elles ont quelquefois fait une victime illustre de celui qui n’était qu’une pauvre tête de son vivant. La clémence eût été la meilleure politique.

Ce n’est pas tout encore cependant. Le sang d’Ortega sera vraisemblablement le dernier sang versé pour cette misérable affaire ; mais il reste d’autres acteurs de l’échauffourée du 1er avril. Le prétendant lui-même, le comte de Montemolin, son frère don Fernando, l’ancien général carliste Elio, ont été pris également. Que va-t-on faire de ces embarrassans personnages ? Il faut remarquer qu’ils sont dans des conditions toutes particulières. Ortega avait trahi, faussant son serment et abusant de son autorité de général ; sa situation était déplorablement nette. Il n’en est pas de même des autres. Le comte de Montemolin et son frère don Fernando ne sont plus des infans d’Espagne, et ils ne sont pas non plus de simples particuliers ; nous pourrions même ajouter que, si ce n’était le sang d’Ortega et de quelques autres, si ce n’était le malheur qui pèse toujours sur des captifs, il y aurait quelque chose d’assez comique dans la triste campagne de ces deux princes. Que va-t-on faire maintenant de ces deux hôtes incommodes ? Seront-ils soumis à un jugement ? Déférer le comte de Montemolin à la justice du sénat, ne serait-ce pas lui faire un piédestal, le mettre en vue et lui fournir l’occasion de se montrer au pays ? La liberté immédiate et sans jugement ne garantit rien sans doute ; mais qu’est-ce qui garantit l’avenir, si ce n’est un bon gouvernement, intelligent et large, qui popularise la monarchie constitutionnelle par ses bienfaits en la mettant au-dessus des agressions des prétendans absolutistes aussi bien que des factieux révolutionnaires ? Après cela, on nous dispensera, nous l’espérons, d’attacher une souveraine importance aux programmes de gouvernement que le comte de Montemolin tenait, dit-on, en réserve, et qui devaient procurer à l’Espagne tous les biens, y compris le suffrage universel. e. forcade.


V. DE MARS.