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commencement de la session du parlement. Nous ne reviendrons pas sur les mésaventures diplomatiques de lord John Russell. Nous avons dit qu’il en prenait son parti, et qu’il s’était prêté de bonne grâce à la détente qui se produit dans la situation générale de l’Europe. La politique étrangère lui tenait à cœur, puisque, pour prix de l’alliance qui l’a ramené au pouvoir avec lord Palmerston, il a exigé le foreign-office. La question intérieure de la réforme électorale n’excitait pas moins ses préoccupations. On se souvient que lord John a été l’auteur du reform-act de 1832, que c’est lui qui a ravivé en 1852 la question de réforme parlementaire, lui encore qui, après plusieurs tentatives infructueuses, a empêché l’an passé lord Derby et M. Disraeli de clore par une transaction cette épineuse controverse. Lord John Russell considère donc la réforme parlementaire comme son patrimoine, et traite en usurpateur quiconque veut s’établir dans ce domaine, dont il se croit maître. Il semblait naturel d’attendre de lui une mesure de réforme bien étudiée, complète, sage, qui pût rallier la majorité des esprits libéraux et pratiques au sein de la chambre des communes. Il est permis de dire aujourd’hui que lord John Russell a complètement échoué dans cette épreuve. Sa proposition est fort simple, et c’est cette simplicité qui en fait le vice. Elle se divise en deux parties : d’un côté, augmenter le nombre des électeurs, élever au vote une portion plus considérable de la population ; de l’autre, enlever le droit d’élire des représentans à un certain nombre de bourgs électoraux dont la population est trop peu considérable, et reporter sur des localités plus peuplées les sièges devenus ainsi disponibles. Sur la seconde partie du projet, il n’y a guère de dissentiment sérieux. On peut discuter sur la quantité des bourgs qui doivent être sacrifiés ; c’est une question de degré sur laquelle il est facile de se mettre d’accord, en faisant, comme on dit, une cote mal taillée. L’entente est plus difficile sur la première partie du projet de lord John Russell, celle qui a pour objet l’extension de la franchise électorale. Ici l’on touche à des questions vitales pour la liberté, aux principes mêmes du gouvernement représentatif.

Lord John Russell n’a pas assez hésité et réfléchi devant ces questions et ces principes : c’est le reproche que lui adressent non-seulement M. Disraeli et ses amis, mais la majorité des whigs, la presque unanimité des penseurs et des écrivains les plus éprouvés et les plus résolus du libéralisme. L’opinion, d’abord froide envers ce bill et inattentive à ses défauts, détournée qu’elle était par les préoccupations extérieures, réveillée maintenant et éclairée par les discussions de la presse, se prononce avec un tel ensemble que l’on assure que la mesure de lord John Russell n’a pas, dans la chambre des communes, l’adhésion sincère et convaincue de plus de cinquante membres. La simplicité est, nous l’avons dit, le vice de cette mesure : elle propose d’ajouter au corps électoral des bourgs où figuraient déjà les locataires payant 10 livres sterling de loyer les locataires qui n’en paient au minimum que 6 ; elle fait une réduction correspondante dans le minimum de la franchise pour le corps électoral des comtés. Quel est le nombre d’électeurs