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d’aigres reproches à la Suisse pour l’énergie avec laquelle elle a soutenu ses prétentions sur les districts neutralisés de la Savoie, nous avons, on le sait, essayé de comprendre impartialement les mobiles avouables qui ont inspiré sa conduite. L’on a dû rendre à la Suisse cette justice, qu’elle n’avait pour son compte aucun goût à l’agrandissement territorial qu’elle réclamait : elle eût préféré la conservation en Savoie de l’ancien état de choses. Probablement même elle eût mis moins de chaleur à demander sa part, si elle n’y eût été en quelque sorte autorisée par des promesses que l’on peut appeler imprudentes, puisque l’événement a prouvé qu’elles ne devaient point être tenues. Quant à la susceptibilité de la Suisse touchant les conditions de sa neutralité et à l’appel qu’elle a adressé aux puissances qui l’ont garantie, pourquoi en serions-nous étonnés ? Par notre fait, il est survenu à la frontière méridionale de la Suisse une question litigieuse de mitoyenneté et de servitude, une question liée partiellement aux conditions de la neutralité helvétique. La garantie de la neutralité suisse était donc affectée, et la Suisse ne pouvait négliger de soumettre cette question aux puissances garantes sans s’exposer à laisser périmer les engagemens qui lient ces puissances au maintien de sa neutralité. Une semblable prudence paraîtrait simple et même louable dans la vie ordinaire, chez un particulier veillant à la conservation des titres et des droits de sa propriété. D’ailleurs la neutralité suisse est si utile à la France, que nous devons voir sans chagrin la confédération nous prouver, par la chaleur avec laquelle elle en plaide les intérêts contre nous-mêmes, la fermeté qu’elle saurait déployer au besoin pour la défendre contre d’autres. Enfin la modération est de bon goût envers la Suisse au moment où nous la déboutons de sa prétention la plus importante, et où il ne nous reste plus à lui donner que des satisfactions de forme. Nous ne songeons pas non plus à railler l’Angleterre de la modération à laquelle l’heureuse influence des vacances de Pâques a ramené ses ministres. « Aucune des puissances européennes n’en a dit autant que nous sur la question de Savoie, » a déclaré lord John Russell, non sans un secret sentiment de vanité satisfaite, dans sa réponse à M. Horsman. Lord John Russell est assurément le meilleur juge de ses succès, et nous ne sommes pas fâchés, en prenant congé de lui, de le laisser dans cette veine d’amour-propre accommodant. À ce prix, nous acceptons même volontiers les leçons qu’il nous donne en invoquant la pacifique influence du traité de commerce, et en nous promettant que dans l’avenir l’alliance commerciale de la France et de l’Angleterre apaisera leurs dissentimens politiques. Si, comme nous le souhaitons, l’alliance commerciale doit avoir cette vertu, si elle doit rendre les peuples amis, nous n’hésiterons pas à répéter avec lord John Russell qu’elle est préférable aux alliances des rois et des cabinets.

Au fait, au moment où paraissent cesser pour nous les préoccupations de la politique étrangère, nous revenons enfin en France à ces questions de réforme commerciale qui, il y a trois mois, à l’époque où elles furent présentées, paraissaient destinées à défrayer notre hiver politique : elles feront