Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pelle l’Europe eût pu avoir la prétention d’intervenir dans cet arrangement territorial pour exercer une autorité collective fondée sur d’anciens traités, il eût fallu du moins que cette intervention eût lieu en temps opportun, avant que l’honneur et le droit de souveraineté de la France ne fussent engagés par la conclusion d’un traité et une déclaration du suffrage universel. Maintenant l’idée ne saurait venir à personne de demander à la France de renoncer à une partie des droits qu’elle s’est assurés. Avec l’occasion, le prétexte même d’un conflit a disparu : le gros de l’affaire est fini ; il ne reste plus qu’à régler des accessoires et à remplir les dernières formalités. Les difficultés immédiates que l’on avait pu craindre sont réduites à néant.

Arrivé à ce point, l’on voit qu’une question qui, il y a un mois, paraissait très grave, la question de savoir s’il y aurait ou s’il n’y aurait pas de conférence, n’a plus d’importance sérieuse. L’importance d’une conférence assemblée pour examiner et régler les effets de l’annexion de la Savoie à la France par rapport à la neutralité suisse dépendait uniquement de la date de sa réunion. La convocation d’une conférence avant ou aussitôt après la conclusion du traité de Turin eût été un incident sérieux ; par un tel acte, l’Europe eût paru revendiquer le droit d’intervenir dans les arrangemens territoriaux arrêtés entre la France et la Sardaigne, ou de les modifier. Le gouvernement français aurait vraisemblablement décliné la compétence d’une telle conférence ; lors même qu’il eût consenti à y prendre part, si les prétentions de la majorité lui eussent été contraires, il eût pu refuser de céder : dans les deux cas, un grave antagonisme, difficile à maintenir dans la sphère diplomatique, eût pu se produire. Aujourd’hui rien de semblable n’est plus à craindre. Si une conférence est convoquée, le cercle de ses délibérations sera tracé d’avance : elle n’aura plus même le prétexte de toucher aux arrangemens territoriaux. Elle n’aura pas d’autre tâche que celle que lord John Russell a définie lui-même en répondant à la dernière interpellation de M. Horsman : « chercher à concilier avec le traité de Turin la garantie de neutralité que le traité de Vienne a donnée à la Suisse par la neutralisation de certains districts de la Savoie. » Pour mieux dire, elle n’aura au fond qu’à renouveler et à rajeunir la garantie européenne sous laquelle est placée la neutralité suisse, en admettant que le changement survenu en Savoie ait affecté les conditions de cette neutralité. La France, comme lord John Russell en a donné l’assurance à la chambre des communes, n’oppose aucune objection à la réunion d’une conférence dont la mission est aujourd’hui circonscrite dans ces termes. À bien peser les choses, l’on ne voit même pas qu’il soit nécessaire d’assembler une conférence pour un tel objet ; il serait facile d’arriver au même résultat par la correspondance diplomatique et par un simple échange de notes.

Nous qui sommes impatiens d’échapper aux préoccupations de la politique extérieure, nous nous félicitons pour la France d’un tel résultat. Notre satisfaction est si sincère que nous n’avons pas la tentation d’y mêler des récriminations ironiques contre la Suisse ou contre l’Angleterre. Au lieu d’adresser