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prière, et le trouble de Marie le gagna. « Ne me demande rien de plus, continua l’enfant d’une voix brisée par l’émotion ; mais si tu tiens à mon amour, si tu veux sauver tout ce que j’adore au monde, si ton âme a quelque pitié pour moi, fais ce que je te dis ! — J’essaierai, » répondit le noble Génois. En cet instant, la voix de Mynas se fit entendre. « Fuis, fuis ! s’écria Marie, car je mourrais s’il me fallait aujourd’hui me trouver entre mon père et mon amant ; mais… ce soir,… reviens ! »


À la fin du jour suivant, les conjurés s’assemblent dans le palais de l’archevêque. Inconnus les uns aux autres, ils se lient par un serment ; ennemis peut-être, ils jurent de mourir en frères. Cinq lampes répandent une lueur faible et tremblante qui fait paraître plus pâles encore les pâles figures des conjurés.

En revenant du palais épiscopal, le père de Marie trouve sa fille tout en pleurs ; il s’émeut de cette grande tristesse, et, cherchant à la consoler, il lui dit : « Je devine le motif de tes larmes ; elles sont légitimes. N’es-tu pas à l’âge où la tigresse elle-même renonce à vivre seule dans le désert ? »" Et il se met à lui parler d’Isidore et de leurs jeux d’autrefois, alors qu’ils se plaisaient, elle tout enfant encore et lui déjà jeune homme, à effeuiller les fleurs ensemble, à courir vers la mer, à compter follement les grains de sable du rivage. Puis, comme Marie semble douter du retour de son fiancé, absent depuis neuf ans, Mynas lui révèle que le mendiant à qui elle a jeté deux ducats n’est autre qu’Isidore. Il s’efforce ensuite de faire briller aux yeux de son enfant la gloire dont ce dernier va se couvrir en devenant le libérateur de sa patrie, et, cédant peu à peu à l’exaltation que fait naître en lui la seule pensée des grandes choses qui vont s’accomplir le lendemain, il lui dévoile le secret et les projets des conjurés. À ce moment, on eût pu voir, par la fenêtre du jardin, un auditeur mystérieux de cet entretien s’enfuir rapidement… Quelques instans après, Jean Giustiniani entrait à la tête d’une troupe de soldats pour s’emparer du vieux Mynas. En apprenant la funeste vérité, celui-ci prononce sur la tête de son enfant cet anathème : « Malheureuse, tu trahis quelque chose de plus sacré que ton père, ta patrie ; tu assassines tes frères, tu ériges sur leurs cadavres le trône des tyrans. Comme père, je te pardonne ; comme homme, je te plains ; comme citoyen, je te maudis, ainsi que la victime maudit le bourreau ! Que ton souffle soit comme le souffle brûlant des damnés ! Que la sauvage colère de ta conscience rende tes sommeils effrayans ! Que les fantômes de ceux qui vont mourir par toi te poursuivent à ton chevet jusqu’à ta dernière heure, et qu’en face du juge tout-puissant leurs gémissantes voix demandent ta condamnation ! »

Le complot découvert, les Génois n’eurent pas de peine à s’emparer des conjurés. Un seul leur échappa, Isidore, le plus redoutable.