Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’une des contrées les plus séduisantes de la Hellade, contrée que M. Orphanidis[1] a parcourue tout à la fois en poète et en naturaliste, cueillant le jour des fleurs près des fontaines que d’antiques traditions ont rendues sacrées en Phocide et en Béotie, et le soir écoutant les superstitieuses légendes racontées par les gens du pays. Au retour de ce voyage et sous l’impression qu’il en avait gardée, il écrivit le poème d’Anna et Phloros ou ta Tour de Pétra[2]. L’action se passe au pied du vert Hélicon, non loin de la ville de Livadie, que les Grecs appellent l’humide à cause des sources nombreuses qu’elle renferme, du torrent qui baigne ses murs et des neiges du Parnasse, qui la couronnent dans le lointain. Nous avons nous-même visité le paysage dans lequel l’auteur a encadré son récit, et, par un singulier hasard, nous avons aussi entendu raconter la légende que M. Orphanidis a prise pour canevas de son poème.

On sait que l’Hélicon est une montagne de la Béotie dont les anciens avaient fait l’un des séjours préférés des muses. Au dire de l’historien Pausanias, nulle plante vénéneuse n’en souillait le sol, et les vipères elles-mêmes, endormies sur ces tièdes coteaux, ne se nourrissaient que d’herbes inoffensives et parfumées qui ôtaient tout danger à leurs morsures. Apollon, Mercure, Bacchus, Orphée, Hésiode avaient leurs statues sous les arbres d’un bois sacré où s’élevait un temple que les plus grands artistes s’étaient plu à embellir de leurs chefs-d’œuvre. De ces splendeurs, il ne reste aujourd’hui qu’un poétique souvenir ; mais la nature n’a pas changé, les vallons y sont toujours pleins de fraîcheur, de parfums et d’ombrages : un bois touffu, sur la lisière duquel on rencontre les ruines mélancoliques d’un petit monastère, couvre le penchant du mont ; plus haut, une assise de rochers chaudement colorée par le soleil se dresse, comme pour garantir la vallée du souffle des orages et empêcher que, la nuit, quelque rafale n’emporte au loin les célestes fantômes des neuf sœurs. La végétation luxuriante de l’Hélicon forme un contraste frappant avec la désolante aridité de presque toutes les montagnes de la Grèce, qui semble avoir perdu ses fleuves et ses forêts en même temps que ses dieux. À une demi-journée de marche, au pied du Parnasse, la ville de Livadie, se détachant avec élégance sur un fond de rochers sombres, serpente en amphithéâtre autour d’un tertre élevé et montre au loin ses coupoles byzantines et ses minarets élancés. Sur la route de Thèbes à Livadie, à quelque distance du mont Hélicon, l’on aperçoit une ruine qui date du moyen âge et dont les murs semblent avoir été noircis par le feu. Je passais en cet

  1. Il occupe à l’académie d’Athènes une chaire de botanique.
  2. Publié pour la première fois à Athènes, chez Vilara, 1855.