Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il combat pour la liberté ; elle n’élève son enfant qu’en vue des luttes où elle espère qu’il se distinguera quelque jour. Les vertus humbles et douces du foyer domestique, la grâce et le charme de la créature délicate, sensible et faible sont étrangers à ce type tout héroïque. Loin de s’abandonner à de vaines plaintes, Despo se redresse et crie aux armes. Elle préside aux préparatifs du combat, excite les guerriers et distribue les panoplies décrochées par elle de la muraille, tandis que sa vieille mère prie et pleure dans son oratoire. Enfin Ghloros donne le signal du départ.

À peine l’armatole et ses soldats ont-ils traversé le lac qu’ils rencontrent inopinément ceux qu’ils allaient secourir, et qu’un klephte du nom de Dimaras, touché de leurs souffrances, avait délivrés pendant la nuit. Ils reprennent tous ensemble le chemin de la montagne dans l’intention de livrer à leur ennemi une de ces homériques batailles dont l’Epire a été si souvent le théâtre.


« Déjà les forêts se dépouillent de l’ombre de la nuit, et le soleil éclaire de ses premiers rayons les gorges du Midjikelli. Pas un souffle n’agite le bois silencieux ; le torrent seul gronde au bas de la montagne. Sur la cime de chaque rocher, à l’entrée de chaque défilé, d’invisibles sentinelles veillent, tandis que leurs compagnons reposent encore sur leur couche de feuilles sèches. Photos est le neuvième ; il dort au milieu d’eux. Sa main gauche est crispée sur la poignée de son sabre, sa droite serre la crosse dorée d’un pistolet. Le sommeil l’a surpris dans un accès d’étrange joie, et le sourire amer de son âme est gravé sur sa figure.

« Ils dorment sans crainte, et cependant les armatoles, habitués aux abîmes, sont déjà près d’eux. Dimaras, le sauveur de Kentros, les a guidés à travers d’infranchissables ravins, par des sentiers secrets… Le voici donc, ce lieu terrible où nul rayon ne pénètre, où les klephtes dorment, où les louves gardent leurs couvées ! Le feu commence, le sang coule, les cris des combattans font tressaillir la montagne. O toi ! lecteur qui aimes ta patrie, tu as horreur de cette inimitié qui pousse des frères à s’entre-tuer. Détourne ton regard de cette scène de carnage.


Le poème finit par ce gracieux tableau du retour des armatoles vainqueurs :


« Le soleil au déclin de sa course argenté les flots paisibles du lac, au milieu duquel l’île verdoyante sourit. Le pyrgos s’élève sur le rivage sablonneux ; il apparaît de loin comme une forme magique. Debout sur le rempart, Despo, prodige de beauté, blanche, pâle, immobile comme un marbre, a les yeux fixés sur le bord opposé, du côté des forêts.

« Soudain une barque quitte le rivage et ride la surface des eaux ; la proue divise les flots, et la poupe laisse après elle un sillon d’écume. Le cliquetis des armes retentit, l’or étincelle aux rayons du soleil couchant ; mais dans la barque règne un silence profond. Hélas ! pourquoi nul chant de victoire ne se fait-il entendre ?